Entretien avec... Johan Scipion, créateur de Sombre
Horreur, angoisse, frisson : la peur comme au cinéma...

En 2011, Johan Scipion sortait le premier numéro de Sombre, le jeu de rôle de La peur comme au cinéma. On en avait profité pour faire une petite interview (que vous pouvez toujours lire ICI). Six ans plus tard, à l'occasion de la sortie du deuxième Hors-Série de Sombre, on a recontacté Johan Scipion, qui a accepté de répondre une nouvelle fois à nos questions !

SFU : Pourquoi avoir créé un jeu d'horreur cinématographique et pas simplement un jeu d'horreur ?

Johan Scipion : Si l'on considère que l'horreur cinématographique est de l'horreur, ce qui paraît difficilement contestable, il en découle que j'ai écrit un jeu d'horreur. Qui peut le plus, peut le moins, CQFD et toutes ces choses. Mais je rigole. Je comprends ta question, qui est de savoir pourquoi le cinéma d'horreur dans Sombre ? Ma réponse tient en plusieurs points.

Fondamentalement, il y a une impérieuse nécessité créative. Game designer sans définir de thème ni de concept général ne m'aurait pas mené bien loin, même si dans les faits, il m'a fallu plusieurs années pour en arriver à me poser sérieusement la question. Cela s'explique par les origines de Sombre. Je suis parti de Kult, donc dans les premiers temps, je n'avais pas de concept bien à moi. Bricolant un jeu tiers, je travaillais dans le cadre posé par ses auteurs, Johnsson et Petersen (pas Sandy, un autre. Un Suédois).

Quand Sombre a commencé à émerger, c'est-à-dire lorsque j'ai eu poussé mes bidouilles si loin que j'ai enfin réalisé que je n'étais pas seulement en train de customiser Kult, mais d'écrire mon propre jeu, j'ai ressenti le besoin d'une direction de travail claire. J'ai tâtonné. Je t'épargne les détails, il suffit de dire que « La peur comme au cinéma » ne fut pas la première tagline de Sombre. Elle est le produit d'une démarche réflexive et raisonnée, une cogitation sur ma pratique rôliste.

J'adore le cinéma, mais de base, je suis un littéraire. Mon métier n'a rien à voir avec l'image. Je ne tourne pas de films, je ne produis même pas de scénarios pour que d'autres tournent des films. Mon taf, c'est l'écriture littéraire et rôliste. Aligner des mots pour raconter des histoires (mes nouvelles), expliquer mes règles (les deux, bientôt trois systèmes Sombre) et transmettre mes expériences de jeu (mes comptes rendus, mes articles).

Si j'ai choisi le cinéma comme référent, c'est parce qu'à un moment, je me suis sérieusement interrogé sur ce que je faisais à table depuis qu'adolescent, j'avais découvert le jeu de rôle. La meilleure réponse que j'ai trouvée fut : du cinoche imaginaire. Pour moi, le jeu de rôle consiste à se faire des films dans sa tête avec des potes. Toutes sortes de films, dont des films d'horreur, un genre que j'apprécie particulièrement.


SFU : Le sous-titre de Sombre est « La peur comme au cinéma ». Pour toi c’est quoi la peur au cinéma ?

Johan Scipion : La peur qu'on peut ressentir quand on regarde un (bon) film d'horreur. Dans Sombre 2, j'ai consacré un article entier à cette question, j'y renvoie tes lecteurs. Mon idée est qu'il ne faut pas attendre de Sombre qu'il fasse peur comme dans la vraie vie. Ce n'est à mon avis ni possible ni souhaitable. Dans la vraie vie, la peur est une émotion très désagréable. La ressentir à une table de Sombre n'aurait rien de fun ni de ludique, ce serait juste atroce. De la torture psychologique, ni plus ni moins. Au cinéma par contre, la peur peut être extrêmement plaisante, jouissive même, et c'est cela l'ambition de mon jeu : susciter des émotions comparables à celles que procure le cinéma d'horreur.


SFU : Est ce que tu créés tes scénarios de Sombre comme tu écrirais un scénario de film ?

Johan Scipion : Je n'en sais rien vu que je n'ai aucune expérience de l'écriture pour le cinéma, et ne cherche d'ailleurs pas particulièrement à en avoir. Je ne dis pas que je ne le ferai jamais, mais cela ne me vend a priori pas des tonnes de rêve. Je me doute quand même très fort que ce doit être assez différent de la manière dont on écrit un scénario de jeu de rôle. Pour pratiquer les deux, je vois déjà bien quelles nuances il y a entre l'écriture littéraire et rôliste. J'imagine quelque chose du même ordre entre JdR et cinoche.

SFU : J'ai mal formulé ma question... Dans le cinéma d'horreur, je pense que le scénario peut être vu comme secondaire. Souvent, ils ne servent que de catalyseur au travail du réalisateur. Si tu prends des classiques comme Halloween, la nuit des masques ou L'Exorciste par exemple, ce n'est pas l'histoire qui constitue le cœur de l'expérience. Les scénarios d'Halloween, la nuit des masques ou de L'Exorciste réalisés par des tâcherons auraient donné de mauvais films. Du coup, dans Sombre, quelle place à le scénario ? 

Johan Scipion : Souvent, il n'y en a pas. J'improvise beaucoup, en animation comme en playtest. C'en est au point que j'ai développé une méthode de jeu sans préparation, que j'ai appelée le quickshot. Elle me passionne tant que Sombre 5 lui est consacré. Il n'empêche que chaque numéro régulier présente un et parfois deux scénarios prêts à jouer. Je les playteste intensivement, jusqu'à des dizaines de fois pour certains, parce que je considère qu'ils sont importants. Sombre est traditionnel. Son dispositif ludique est classique, c'est celui du jeu de rôle tel qu'on le pratique depuis 1974. Or en tradi, le scénario compte. Du coup, je me donne les moyens de livrer des textes carrés, précis, didactiques, qui plus est riches de nombreux retours d'expérience. J'explique de manière très détaillée ce que je fais à ma table pour aider d'autres meneurs à s'approprier mon texte.

Quant à ce qui est du cinoche de trouille, et bien que je t'accorde volontiers que le septième art est une expérience fondamentalement audiovisuelle, je ne suis pas d'accord avec toi pour minorer autant l'importance du scénario, même si cela doit sans doute varier d'un réalisateur à l'autre, d'une production à l'autre. De mon point de vue (extérieur, hein. Je suis juste un fan, ce milieu n'est pas le mien), le scénario, et parfois le scénariste, comptent vraiment. Blatty n'est pas pour rien dans L'Exorciste. Sa collaboration avec Friedkin fut riche, et houleuse. Quant à Halloween, Carpenter l'a co-écrit, ce qui pose de facto le film dans la continuité directe du scénario. C'est le même processus créatif. Cela me paraît d'autant plus vrai que le budget microscopique lui a permis de bien contrôler l'ensemble de la production. Ces classiques n'ont pas poussé sur rien. Avant leurs images, il y eu des textes avec de vraies bonnes idées dedans, et même un best-seller littéraire dans le cas de L'Exorciste. De mon point de vue, cela explique pour une bonne part la qualité des produits finis.

Tu dis que « les scénarios d'Halloween, la nuit des masques ou de L'Exorciste réalisés par des tâcherons auraient donné de mauvais films », et c'est sans doute vrai. Ou si pas mauvais, du moins très moyens, voire médiocres. Mais l'inverse aussi se défend : si Friedkin ou Carpenter avaient tourné des scénarios pourris, les résultats aurait probablement été tout aussi médiocres. D'ailleurs, leur filmo à tous deux ne contient pas que des chef-d'œuvres. À mon avis, il ne suffit pas d'un réalisateur virtuose pour faire un classique du cinéma, ni même d'un réal compétent pour faire un bon film d'horreur. Il faut aussi une vraie bonne histoire. Le point est qu'elle n'a pas besoin d'être très compliquée, très profonde ou très détaillée, justement parce qu'elle doit s'effacer derrière l'expérience audiovisuelle.

Au passage, c'est ce pourquoi le cinéma ne me vend pas de rêve, professionnellement parlant. L'écriture, toute essentielle qu'elle y soit, ne constitue pas le cœur du média. On pourrait arguer que c'est aussi le cas du jeu de rôle. Et c'est vrai, même s'il me semble que les textes y ont quand même plus d'importance. En fond, cela explique mon activité parallèle de nouvelliste. J'aime aussi fabriquer des produits textuels finis (des nouvelles), par opposition à des outils textuels (des règles, des scénarios) dont d'autres se serviront pour fabriquer leurs propres produits finis (des parties de Sombre).

Pour préciser ma pensée, j'ajoute que je suis convaincu que faire simple et efficace est compliqué. Je ne suis pas en train de dire qu'écrire un bon scénario de cinéma est facile. Moi par exemple, à mon petit niveau, je sue sang et eau sur mes scénarios flash. Lorsque la partie ne dure que quinze minutes, tu n'as le droit à l'erreur sur rien. Même si le scénario est d'une extrême simplicité, tout doit être pile-poil nickel chrome carré parce que tu ne peux te permettre aucun faux pas. Si ça foire, tu n'as pas trois heures devant toi pour redresser la barre. La partie sera finie avant que n'aies pu corriger le tir. De mon travail sur Sombre, j'ai retenu que la simplicité narrative est très exigeante. La complexité te donne tout un tas de leviers, te permet moult réglages et ajustements en cours de jeu. La simplicité, non. T'as pas cent cinquante touches sur ton clavier, t'en a trois. Du coup, t'as pas intérêt à te planter quand tu décides sur lesquelles appuyer. Parce que ta fausse note, grave qu'on va l'entendre.


SFU : Quelle est l'importance du rôle du meneur de jeu dans Sombre ?

Johan Scipion : Il compte, et pas qu'un peu. Je le répète, Sombre est tradi. Or dans le tradi, le meneur compte. Déjà, y'en a un. Ensuite, il est au cœur du jeu. Du coup, je m'efforce de lui donner tout le matériel narratif et technique dont j'estime qu'il a besoin. Pour dire vrai, c'est d'abord à moi que je pense car je suis le premier utilisateur de mon jeu. Je mène by the book : ce que j'ai écrit, exactement comme je l'ai écrit. Si c'est de la merde, je ne tarde pas à le savoir. Le playtest est sans pitié. Une fois que j'ai poussé mes textes dans leurs derniers retranchements, que je suis allé au bout du bout de ce que je pense être capable de faire en terme de game design, je m'efforce d'accompagner ce matériel de commentaires appropriés. Avoir de bons outils est la base, un mode d'emploi bien foutu aide à en tirer le meilleur. Dans Sombre, il est constitué par les articles que je publie dans la revue, et la section Feedback qui accompagne chacun de mes scénarios. Si je soigne tout particulièrement ces textes, c'est parce que je pense que la fonction de meneur est importante. C'est à lui qu'ils sont destinés.

SFU : La simplicité du gameplay te semble-t-il être un prérequis incontournable dans un jeu d’horreur ?

Johan Scipion : Je me garderai bien de formuler quelque avis tranché que ce soit sur ce genre de grande question théorique. D'abord parce que la notion de simplicité, particulièrement de simplicité rôliste, est très relative. Ensuite parce que le jeu de rôle est ainsi fait que de jeunes auteurs viennent en permanence dynamiter les certitudes des anciens. Des trucs qu'on tenait pour impossibles ou inintéressants il y a vingt ans cassent aujourd'hui la baraque. Peut-être que dans six mois, il se trouvera un gars ou une fille pour publier un jeu d'horreur hyper compliqué qui va nous retourner la tête à tous.

Ce que je peux juste dire, c'est que la simplicité des règles est pour moi (moi personnellement moi-même, j'insiste) un prérequis du jeu de rôle, tous genres confondus. De la maîtrise en tout cas. J'ai pu m'accommoder de systèmes complexes en tant que joueur parce que j'étais assis à la table de meneurs compétents et talentueux, qui ont su me prendre en charge techniquement, mais je n'ai jamais réussi à mener ce type de jeu. Toute l'histoire de Sombre procède d'un échec flagrant : mon incapacité à assumer la complexité, notamment technique, de Kult.

Tu remarqueras que je n'ai parlé que de règles car un gameplay complexe (au sens riche, profond et/ou subtil) ne m'a jamais posé problème, étant entendu que simplicité technique et gameplay élaboré ne sont pas antinomiques, même lorsque le jeu est hyper bourrin (je travaille en ce moment sur Max, une seconde variante de Sombre et elle se pose là en terme de bourrinute). C'est ce que j'appelle le divertissement intelligent. Pas qui rend intelligent, entendons-nous bien, mais qui est fait avec intelligence. Pas certain du tout que j'y parvienne, mais j'essaie très fort. C'est ma direction de travail.


SFU : Je me suis toujours demandé : quel est ton but quand tu es joueur à Sombre ? Mourir de façon la plus classe possible ou optimiser tes actions pour survivre afin de devenir la final girl ?

Johan Scipion : Ce sont aux joueurs eux-mêmes de répondre à cette question. Du coup, je te la retourne : Vincent, quel est ton but lorsque tu joues à Sombre ? Es-tu du genre à essayer de mourir de la façon la plus classe possible, ou serais-tu plus enclin à vouloir survivre coûte que coûte ? Ou un peu des deux ? Ou est-ce que ça dépend de ton humeur, du scénario, du personnage que tu interprètes, de l'attitude des autres joueurs, du style de ton meneur ? Dis-moi, Vincent, quel joueur de Sombre es-tu ?


SFU : Je pense que ça dépend si on joue Vendredi 13 ou Délivrance. Mais est-ce que j'aurai cette information pour me guider au moment où la partie commencera ?

Johan Scipion : Je crois comprendre à ta réponse que tu n'as jamais joué à Sombre. C'est un manque facile à combler. Si d'aventure nous nous croisons en convention, je t'invite à t'asseoir une quinzaine de minutes à ma table. Beaucoup des questions que tu te poses, et que tu me poses, y trouveront leur réponse. En jeu de rôle, une petite démo vaut souvent mieux qu'un long discours.

Pour répondre à ta question, oui tous les scénarios que j'écris commencent par une phase de briefing, au cours de laquelle le meneur explique aux joueurs ce qu'il attend d'eux. Le but du jeu est toujours très clair, il est d'ailleurs écrit noir sur blanc dans le scénario. Je lui consacre systématiquement un paragraphe car je pense que c'est un prérequis essentiel pour le bon fonctionnement de n'importe quel jeu. Mon avis est que le jeu de rôle n'est pas un genre ludique à part, mais une forme particulière de jeu de société.

SFU : Sombre est divisé entre numéros "officiels" et hors-séries. Quelle est la différence entre les deux ?

Johan Scipion : Je parle en fait de numéros réguliers, étant entendu que l'ensemble de la revue, hors-séries compris, est officiel de chez officiel. Leur fabrication à tous est identique, format A5 noir et blanc, 72 pages intérieures, dos carré piqué. Tout comme pareil. Je publie un numéro régulier et un hors-série par an, le premier au printemps, le second à l'automne, pour Halloween (le petit Noël des fans d'horreur), mais ce n'est pas non plus une règle gravée dans le marbre. Il y aura peut-être des années sans numéro régulier ou sans hors-série. Je veux garder de la souplesse éditoriale, tout en conservant mon objectif de deux parutions annuelles.

Ce sont leurs sommaires qui les différencient. L'idée est de réserver aux numéros réguliers les textes ultra prioritaires, ceux dont je pense qu'ils auraient déjà dû être publiés il y a bien longtemps. Dans les hors-séries, du matériel moins crucial, mais overcool quand même. Et plus de diversité. Il y a toujours au moins un scénario dans les numéros réguliers, pas forcément dans les hors-séries. Par contre, on y trouve de la fiction littéraire, horrifique il va de soi. Sombre HS1 était un recueil de nouvelles, et il y en a encore une dans le HS2, une histoire d'apocalypse zombie.

L'avènement des hors-séries me fut une vraie bouffée d'oxygène éditoriale. J'avais tellement de textes sous le coude que je voulais publier, mais que j'étais jusque là contraint de remettre au bas de ma pile. J'en retirais l'impression que Sombre avançait à cloche-pied, c'était très frustrant. Je rongeais mon frein. Maintenant qu'il marche sur deux jambes, me voilà tout guilleret. Le fun par paquet de douze.

Si tu veux découvrir Sombre, tu achètes deux ou trois numéros réguliers pour essayer, dont au moins un livre de base (il y en a deux). Si le jeu t'accroche et que tu souhaites suivre son développement, cela te coûte 10 euros par an, le prix d'un numéro régulier. Si t'es fan et que tu veux goûter l'expérience Sombre dans son intégralité, tu doubles la mise (10 euros supplémentaires) pour choper en plus le hors-série de l'année. C'est un bon deal, je trouve.


SFU : Sombre est également divisé entre Sombre et Sombre light. Quelle est la différence entre les deux ?

Johan Scipion : Sombre est le jeu, Sombre light son kit de démo, un document .pdf librement téléchargeable sur la page officielle. Je m'avance un peu, mais j'ai l'impression que tu confonds. Est-ce qu'en réalité, ce n'était pas de Sombre classic et de Sombre zéro dont tu voulais parler ? Si c'est bien le cas, ce sont deux blocs de règles. Classic est le système historique de Sombre, celui que j'ai publié dans Sombre 1, son livre de base, et dont on retrouve l'intégralité (moins certaines aides de jeu) dans Sombre light. Sombre zéro est la version épurée de Classic. Fondamentaux techniques identiques, mais règles simplifiées, qui permettent de jouer sans crayon, sur de très petites tables, avec des gens pour qui Classic, aussi simple soit-il, est encore trop compliqué (les grands débutants, les enfants, les personnes âgées). Et aussi, de faire des parties très courtes. Du vrai jeu de rôle en quinze minutes. Début, milieu et fin, une partie complète en un quart d'heure. Sombre 6 est entièrement consacré à Zéro, c'est son livre de base.

SFU : Après quelques années d’expérience et de recul, quel retour peux-tu faire sur le modèle éditorial de Sombre ?

Johan Scipion : Hardcore de chez hardcore, un marathon par an tous les ans depuis plus de vingt ans. En contrepartie, extrêmement plaisant et créativement très riche. L'indépendance n'est pas une sinécure, c'est un putain de gros taf. J'assume à moi tout seul presque toute la chaîne du livre, ce qui représente une très lourde charge de travail, à laquelle s'ajoute un quintal d'animations et pas mal de playtest. Mais on n'a rien sans rien, et la liberté créative s'achète en monnaie Fame, la sueur. Donc je paie, et en retour j'obtiens d'écrire, playtester et publier mon jeu exactement comme je l'entends. It's good to be the king, même quand dans ton château, c'est toi qui fait tout.

En particulier, je peux assumer le format revue, que j'apprécie pour de nombreuses raisons, dont l'articulation très organique entre la table et le clavier. J'écris ce que je mène à mesure que je le mène, ce qui est une liberté créative inouïe. Sans elle, Sombre zéro n'existerait pas. Cette variante, que j'überkiffe, a poussé avec la revue, un scénario après l'autre, jusqu'à ce que je finisse par lui consacrer un numéro entier, ce qui n'était pas du tout prévu au départ. J'adore cette manière de travailler, au point que je suis disposé à assumer les lourdes contraintes de l'indépendance pour la préserver.


SFU : Une communauté s'est formée autour de Sombre, avec notamment des auteurs qui ont proposé des univers pour le jeu (je pense notamment à Millevaux - La Source). Comment est-ce que tu fonctionnes vis-à-vis de cette communauté ?

Johan Scipion : Le cas de Thomas Munier est particulier. Millevaux, son univers d'horreur apocalyptique et forestière, prédate de très loin notre rencontre. Sombre ne fut qu'une étape de son développement. Aujourd'hui, Thomas motorise Millevaux avec de très nombreux systèmes, dont le mien. Il est extrêmement prolifique et seule une petite partie de sa production, que je recommande d'ailleurs vivement à tes lecteurs, est consacrée à mon jeu.

Je fédère la communauté Sombre autour du forum officiel. J'y donne des nouvelles de l'avancement de mon travail, on y discute du jeu entre connaisseurs, on y répond aux questions des débutants. Des meneurs y postent des comptes rendus de leurs parties et des scénarios de leur création. D'autres, l'équipe de Jeudi JdR par exemple, investissent YouTube. On peut regarder sur leur chaîne de nombreuses parties de Sombre.

Tout ceci me ravit. Le jeu est vivant et il m'échappe. Des tas de gens, que pour la plupart je ne connais pas, se l'approprient, jouent avec, le bidouillent, l'utilisent pour exprimer leur créativité dans le domaine de l'horreur ludique. Certains se mettent au jeu de rôle grâce à Sombre, passent de l'autre côté de l'écran (métaphorique, cet accessoire n'existe pas dans mon jeu) alors qu'ils hésitaient à le faire depuis de nombreuses années, écrivent des scénarios, développent des univers, bricolent des règles alternatives. C'est très gratifiant.

L'autre jour, une mère de famille m'a envoyé par Facebook une courte vidéo de sa fille. 7 ans, première expérience de maîtrise avec Sombre. Une initiative parfaitement spontanée, à la suite de parties jouées avec ses parents, des gens que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam. Ce type de retour valide tous les efforts que j'investis dans mon jeu depuis tant d'années. Est-ce que ce n'est pas excellent d'en arriver à susciter l'envie de mener chez une gamine de 7 ans ? Moi en tout cas, je kiffe.


SFU : Pour finir, quel est ton film d'horreur préféré ?

Johan Scipion : Je n'en ai pas parce qu'en fait, j'en ai plein. Ce n'est pas un hasard si Sombre est un jeu d'horreur générique, sans univers dédié. J'aime le cinéma d'horreur dans toute sa diversité. Sa richesse ne cesse de m'étonner, me fasciner, me ravir. Il n'est pas un de ses sous-genre qui ne m'intéresse pas. Je pense d'ailleurs qu'après neuf numéros, cela commence à se voir dans la revue. J'ai publié tout un tas de scénarios différents, du film de guerre au conte de fée noir, en passant par le drama dark, le zombie apocalypse, le survival forestier, l'hicksploitation ou la science-fiction horrifiques. Et ce n'est qu'un début. Les numéros à venir continueront d'ouvrir les horizons narratifs Sombre. Dans le prochain, je m'intéresserai au slasher, en mode old et new school. Vincent, je te donne rendez-vous au printemps 2018. Retrouvons nous dans les bois, près du lac, à côté des bungalows du camp de vacances. N'oublie pas ton masque de hockey et ta machette, va y avoir du sport.

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Auteur : Vincent L.
Publié le lundi 4 décembre 2017 à 09h00

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