PIFFF 2012 : jour 4
Home invasion et pellicule VS numérique
La journée (ou plutôt la soirée) a débuté avec In Their Skin (anciennement Replicas lors de sa diffusion au NIFFF) de Jeremy Regimbal. Après le décès de leur fille de 6 ans, la famille Hughes quitte le stresse de la ville pour s'établir quelque temps en campagne afin de se reconstruire. Mais, à peine arrivés, un couple et leur fils tapent l'incruste sous prétexte de faire du bon voisinage. Très vite ces nouveaux voisins se montrent non seulement très curieux, mais aussi de plus en plus étranges.
L'avis de Richard B : Jeremy Regimbal signe ici un thriller (et premier long-métrage) plutôt simple, mais grandement efficace. Joshua Close (Diary of the Dead) et Selma Blair (Hellboy) forment un couple parfaitement crédible et James D'Arcy (L'Exorciste : Au commencement) semble particulièrement s'amuser à jouer le malade de service. Seuls les gamins semblent par moment un peu surjouer. La trame n'est pas vraiment nouvelle - un couple (en particulier un homme) s'inscruste dans une famille et va faire vivre un véritable cauchemar à cette famille à peine sortie d'un trauma -, nous sommes donc même dans les gros clichés du genre, mais la maîtrise du sujet est telle, le rythme si bien orchestré que le suspense est parfaitement huilé et fonctionne à plein régime et on se trouve happé du début à la fin. Un très bon moment de cinoche même s'il est fort probable que d'ici quelques années le film tombe dans l'oubli (déjà il est loin d'être sûr qu'un jour ce film passe la frontière hors festival, ce qui serait bien dommage, surtout pour Selma Blair).
L'avis de Jonathan C : Apparu dés la fin des années 60, le home invasion movie est, à l'instar du vigilante, un genre très spécifique, particulièrement tendancieux et ambigu, pour ne pas dire sécuritaire et un peu facho. Le home invasion movie est, là aussi comme le vigilante, revenu à la mode ces dernières années avec des films-choc comme Mother's Day, Malveillance, The Strangers, Kidnappés, et des films moins choc comme Trespass, Mauvais Piège, Harcelés, le remake des Chiens de paille, le remake de Funny Games...In Their Skin, précédemment titré Replicas (ce qui, pour les distributeurs, sonnait trop science-fiction), s'inscrit dans cette mouvance, avec sa gentille famille (le père, la mère, le fils et le clébard : ne manque que la fille, tuée lors d'un accident) agressée dans leur propre foyer par une famille voisine de psychopathes qui veulent prendre leur place. Il fallait pourtant s'y attendre : même avant les hostilités, les voisins entrent par effraction chez leurs hôtes comme si de rien n'était, ils tiennent des propos incohérents, posent des questions indiscrètes jusqu'à l'indécence, manquent de tact, ont des réactions bizarres (comme de se mettre à singer leurs hôtes), etc. Comme de coutume dans le genre, le malaise s'installe assez rapidement, ici lors d'un repas d'anthologie aussi drôle que sordide (on en rit jaune tant ça met mal à l'aise), et le récit amène des scènes de plus en plus dérangeantes jusqu'au voyeurisme et au viol (la « scène de sexe » fait froid dans le dos, malgré les petits seins attrayants de Selma Blair). Comme toujours dans le genre, tout cela ne fonctionnerait pas si ce n'était pas aussi bien joué et aussi rigoureusement réalisé ; la mise en scène et le montage instaurent un véritable jeu de regards/réactions qui font efficacement monter la tension dans la première partie (surtout lors du repas). L'explosion de violence est ainsi moins marquante que le crescendo qui y mène. Il y a évidemment une dose de sadisme et de cruauté tant physique que psychologique, mais ça ne vire pas au torture-porn. Et le psychopathe en question est heureusement très réussi, inquiétant et gravement atteint, campé par James D'Arcy (qui jouera d'ailleurs le rôle d'Anthony Perkins dans le Hitchcock avec Anthony Hopkins). Selma Blair (qu'on ne présente plus) et Joshua Close (Diary of the Dead, K-19, L'Exorcisme d'Emily Rose, The Master), qui est aussi le scénariste, sont très convaincants et font ressentir la peur au ventre. Le propos est toujours un peu le même dans le genre (une parabole sur l'Amérique rongée par la peur, sur les conséquences de la politique de la peur dans la société) et le final peut décevoir dans le sens ou le réalisateur n'opte pas pour la solution la plus racoleuse (à savoir les victimes qui deviennent les bourreaux et l'habituelle allégorie humains/animaux qui va avec), mais c'est aussi un choix qui le démarque des autres films du genre, tout comme sa photo très grise évoquant le cinéma des années 70. Le réalisateur précise même que notre Harry, un ami qui vous veut du bien était l'une de ses principales références pour In Their Skin. Pour un premier film, c'est plus que bon.
La séance était suivie d'un questions-réponses entre le public et le réalisateur (vous pouvez découvrir un extrait ci-dessous) :
Par la suite était projeté le documentaire Side by Side.
L'avis de Richard B : L'année dernière grâce au PIFFF nous avions pu découvrir un excellent documentaire : Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux de Gilles Penso et Alexandre Poncet. Hier soir, le festival a renouvelé l'expérience avec Side by Side de Chris Kenneally avec pour guide l’acteur Keanu Reeves. Side by Side se propose d'être un débat autour du passage de la pellicule au numérique vu par les réalisateurs et chefs opérateurs majeurs de l’Histoire du cinéma.
Les intervenants sont donc nombreux, et aussi divers que représentant une multitude de branches du métier tel que des acteurs, monteurs, étalonneurs, directeurs de la photographie ou bien entendu réalisateurs. Parmi les plus célèbres : James Cameron, Danny Boyle, Christopher Nolan, George Lucas, Martin Scorsese, David Fincher, Michael Ballhaus, Vittorio Storaro et une pléiade d'autres noms tous aussi majeurs les uns que les autres. Tous y vont de leur opinion avec un côté très accessible permettant même aux moins connaisseurs d'appréhender le sujet. Pour autant les adeptes auront aussi de quoi nourrir leur curiosité puisque le débat pellicule Vs numérique est que l'approche générique du documentaire, d'autres thématiques parfaitement amenées sont soulevées, telles la sauvegarde des informations, la meilleure façon de vivre un film, la surproduction de films... les sujets de conversation ne manquent pas, tous les intervenants y apportent leur opinion et démontrent que le sujet est loin d'avoir une réponse claire. On se laisse guider par les thématiques durant presque 100 minutes sans voir le temps passer (mais aussi le temps passé) et on en ressort sans avoir véritablement de réponse, mais avec une véritable connaissance des éléments qui permettra à chacun d'avoir son opinion. Une chose est certaine, que l'on aime ou pas George Lucas son nom a été régulièrement cité comme celui qui a fait avancer les choses à Hollywood (bien plus qu'un James Cameron par exemple) et force est de constater que l'homme a souvent eu un tour d'avance sur tous les autres. Incontournable pour les passionnés de cinéma.
L'avis de Jonathan C : Keanu Reeves n'est pas qu'un acteur mal-aimé, c'est aussi un type curieux et rigoureux qui produit, présente, commente et mène ce documentaire sur le passage de la pellicule au numérique. Keanu est allé, sur plusieurs années (d'ailleurs on le voit avec de nombreuses coupes de cheveux différentes tout au long du film) et pendant la préparation de ce qui sera son premier long métrage en tant que réalisateur (le film d'arts martiaux Man of Tai Chi), à la rencontre de ceux qui font le cinéma (surtout en termes d'image) pour parler de cette question d'actualité. Il n'y a pas point de vue plus pertinent sur le sujet, d'autant plus que l'acteur a non seulement fait des choix très judicieux dans les réalisateurs interviewés (des petits réalisateurs indépendants et une ribambelle 4 étoiles de cinéastes connus voire légendaires : les Wachowski, James Cameron, Danny Boyle, Richard Linklater, David Lynch, Martin Scorsese, Robert Rodriguez, Steven Soderbergh, Joel Schumacher, Lars von Trier, Christopher Nolan, David Fincher et George Lucas, qui tiennent tous des propos vraiment intéressants) mais est aussi allé chercher des chef opérateurs (des vétérans comme Michael Ballhaus, Michael Chapman, Richard Mathieson, Anthony Dod Mantle, Vittorio Storaro, Donald McAlpine ou Vilmos Zsigmond mais aussi quelques jeunes), des monteurs (le grand Walter Murch), des étalonneurs, des superviseurs SFX (l'indispensable Dennis Muren), quelques acteurs (Greta Gerwig ou John Malkovich) et des producteurs (dont Lorenzo di Bonaventura, qui se plaint qu'il n'y a plus de producteurs à l'ancienne à Hollywood). Le dilemme pellicule VS numérique est ainsi abordé dans tout le processus de création de l'image. De nombreuses images de films (des choix très justes) viennent souligner l'évolution technologique racontée par ce documentaire.
Le grand mérite de Side by Side, c'est d'abord qu'il s'adresse aussi bien aux néophytes (d'ou des explications techniques très didactiques, avec schémas et voix off) qu'aux professionnels de l'image. Ensuite, Side by Side donne la parole aux techniciens de l'ombre, ceux qu'on entend jamais mais qui sont pourtant les premiers concernés par le sujet (et ils ont beaucoup à dire). Tous les chefs opérateurs devraient d'ailleurs voir ce film. Enfin, les nombreux et passionnants propos de tout ce beau monde (les détracteurs du numérique, les pro-numériques, et ceux, les plus intéressants, qui sont passés de l'argentique au numérique, comme la plupart des réalisateurs cités quelques lignes plus haut) développe un sentiment général partagé, nuancé et mesuré : l'argentique a ses avantages et ses inconvénients, tout comme le numérique. Le documentaire fait un topo efficace du numérique et le replace dans le contexte d'aujourd'hui, évoquant ainsi l'avenir du film (en tant que matière mais aussi en tant qu'art). Ce documentaire confronte l'art et la technique, le cinéma étant précisément un mélange des deux (il faut trouver l'équilibre). Réalisé non pas par Keanu Reeves mais par Christopher Kenneally, Side by Side est par ailleurs très rythmé et construit comme un perpétuel jeu de ping-pong entre avantages et inconvénients, détracteurs et défenseurs.
Keanu a un peu tendance a se filmer (normal, pour un acteur), mais il est tellement sincèrement intéressé et plein de bonnes intentions qu'on lui pardonne ce tic. Lui-même a du apprendre beaucoup de toutes ces rencontres (et de tous ces grands réalisateurs qui n'ont jamais voulu de lui), ce qui est de bon augure pour Man of Tai Chi.
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Publié le mardi 20 novembre 2012 à 08h42
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