Rod Serling and The Twilight Zone > La fin du rêve
Rod Serling après la Quatrième Dimension
La fin de Twilight Zone ne marquait pas la fin de la carrière de Serling. Loin de là ! Ayant peur d'être identifié comme un écrivain « d'histoires de fantômes », celui-ci se lança à corps perdu dans de nombreux projets, rédigeant le script du film The Man adapté du roman d'Irving Wallace et, ce qui est plus intéressant pour nous, celui de La Planète des singes d'après Pierre Boulle.
The Man est un film de politique-fiction : les prémices sont simples, Air Force One, l'avion présidentiel, s'écrase. Le seul prétendant à la présidence des États-Unis est Noir. A partir de ces éléments, Rod Serling a bâti une histoire riche en sentiments, plaidant pour l'égalité et l'abolition du racisme.
Le film La Planète des singes est trop connu pour qu'on en résume le scénario ici. Peu de gens, par contre, savent que Rod Serling est l'auteur de l'adaptation à l'écran du roman de Boulle et, en particulier, que la scène finale où Charlton Heston découvre le bras de la Statue de la Liberté émergeant de la plage est le fruit de l'imagination de l'auteur de Twilight Zone. Là où le roman de Boulle est utopique, presque sans conflits, le script de Serling crée une tension permanente entre Taylor (bien différent du pacifique héros du roman) et le Dr Zaius, dont l’habileté est à cent lieues du Zaius pompeux et incapable dépeint par Boulle.
Le chemin de La Planète des singes ne fut pas direct, c'est le moins qu'on puisse dire ! La première compagnie qui approcha Serling pour obtenir de lui une adaptation du roman fut celle des célèbres King Brothers de Hong-Kong, qui pensaient réaliser un film de série Z à petit budget. Le traitement rédigé par Serling fut finalement écarté par les problèmes financiers posés par la nécessité de présenter à l'écran toute une population de singes humanoïdes !
La seconde personne intéressée fut Blake Edwards, auteur de la fameuse série des Panthères Roses. Celui-ci fit savoir à Serling qu'il allait produire et réaliser un film d'après le roman de Boulle, et qu'il pouvait en rédiger le script sans se laisser arrêter par des considérations matérielles, le budget prévu étant considérable.
« Ma première version contenait une ville de singes un peu comme New York. Pas une ville comme celle qui fut présentée plus tard, construite de rocs et composée de grottes, mais une vraie métropole avec des autos, des buildings, des ascenseurs, un métro, des meubles, etc., à la différence que tout était conçu par et pour des singes ! Le script était assez long et il aurait coûté environ $ 100.000.000 à réaliser. Inutile de dire que le projet fut abandonné. » déclara Serling.
Construire une ville de singes et la peupler allait nécessiter un certain effort d'imagination dans l'adaptation du roman de Boulle. Quand Serling fut contacté, une troisième fois, par Arthur P. Jacobs, il réécrivit entièrement son scénario, s'efforçant de rester dans les limites du financièrement-possible, tout en conservant les caractéristiques intrinsèques du roman de Boulle. Le monde élaboré par Serling fut donc un monde semi-civilisé, dont la description demanda un travail considérable : le script dut être revu trois fois avant d'aboutir à la version finale que nous connaissons.
"Mon adaptation fut très libre. En fait, ce ne fut pas vraiment une adaptation, mais une histoire écrite d'après le livre de Boulle, et il y a une différence bien réelle." déclara Serling.
L'une de ces différences est bien connue : la fin du roman et celle du film différent sensiblement, cette dernière étant à porter au crédit de Serling. Le scénario de celui-ci fut ensuite revu par Mike Wilson, qui y ajouta une note d'humour et modifia, d'après Serling, à peu prés tous les dialogues. La version originale rédigée par l'auteur de Twilight Zone était sérieuse, voire sombre. La version de Wilson comprenait de nombreux calembours.
En dépit de cela, il n'en reste pas moins que l'enchaînement des événements, les situations et la philosophie même de la version cinématographique de La Planète des Singes doivent être portés au crédit de Rod Serling.
Arthur P. Jacobs proposa à celui-ci d'écrire le scénario du deuxième film. Celui-ci accepta et formula les concepts qui lui servirent de base: la bombe H enterrée, la peur viscérale qu'ont les singes de l'homme fauteur de guerre, la résurgence d'une nouvelle civilisation et l'anéantissement final. Malheureusement, Serling ne fut pas disponible pour rédiger le script, étant pris par d'autres engagements.
Car le fantastique n'allait pas laisser Serling inactif très longtemps. Durant l'automne 1970, six ans après la disparition de Twilight Zone, la chaîne de télévision N.B.C. annonça a grand renfort de publicité, le retour du maître dans une nouvelle série baptisée Night Gallery.
Night Gallery, malheureusement fut un chant du signe et, tout au long de sa vie courte et mouvementée, cette série resta une épine plantée dans le cœur de Serling.
Ce qu'il en restera
Rod Serling a déclaré que sa célébrité serait de courte durée et qu'une année après son émission le public l'aurait déjà oublié. « Je n'ai rien contre l'anonymat. Je ne suis pas une vedette mais un écrivain ». Heureusement, Serling -pour une fois- se trompait : aujourd'hui encore sa silhouette familière et sa voix empreinte d'humour et de mystère dominent encore par leur seule présence des millions de téléviseurs à travers de nombreux pays. Triomphant de la barrière la plus cruelle, celle du temps, Twilight Zone est plébiscitée par le public, donnant ainsi raison à Serling contre les « sponsors ». L'audience de Twilight Zone comprend maintenant des étudiants, des amateurs de S-F., des universitaires, rassemble ceux qui découvrent avec admiration et ceux qui se remémorent avec émotion.
Si l’influence de Rod Serling fut profonde dans le domaine de la science-fiction et du fantastique à la télévision, il ne faut néanmoins pas oublier le fait qu'une telle personnalité n'est pas facilement remplaçable. Bien d'autres séries essayèrent de capturer le charme de Twilight Zone. Nulle ne réussit aussi pleinement que Twilight Zone à créer cette aura de surréalisme.
Rod Serling fut le premier à introduire et à développer le concept d'une série fantastique suivant le format d'une anthologie à la télévision. Cela ne fait que mettre en valeur le génie d'un homme qui, durant cinq années entières, produisit semaine après semaine un superbe recueil de contes fantastiques mêlant thèmes éternels et idées nouvelles. Dans son sillage devait se développer une école d'écrivains de scénarii : Richard Matheson, Charles Beaumont, etc., et même de réalisateurs dont Steven Spielberg, Richard Donner, Ted Post etc. Si Twilight Zone ne contribua pas notablement à développer la science-fiction d'un point de vue uniquement littéraire, son influence sur le cinéma et la télévision fantastique fut immense. Rod Serling incarne à lui seul une époque de la science-fiction au petit écran.
Rod Serling se qualifiait lui-même d'amateur. Son intérêt pour les choses du surnaturel était d'avantage celui d'un lecteur que celui d'un professionnel. Le fantastique et la science-fiction, s’ils étaient ses domaines de prédilection avoués, il déclarait néanmoins volontiers qu'il n'y était qu'un nouveau venu, face a des géants comme Asimov, Clarke ou Bradbury. Son seul génie, ajoutait-il, était d'avoir introduit le genre dans le plus grand des mass média : la télévision.
Le 28 juin 1975, Rod Serling meure des suite d'une opération cardiaque. Il a alors 50 ans et est universellement connu du public américain. Aujourd’hui encore, Rod Serling est salué comme l'une des figure les plus importantes de l'Age d'Or de la télévision.
Ces fameuses estimations d'écoute qui créèrent tant de problèmes à Serling, atteignent aujourd'hui des chiffres bien au-delà de ceux récoltés durant la période 1959-1964.
Dans la Quatrième Dimension, « infinie comme l'espace et éternelle comme le temps », Serling n'est point mort. Il continue à répandre son message de tolérance, de fraternité, vivant pour toujours dans la mémoire de son public.