Entretien avec Jean-François Morlaes
Il nous parle du jeu de rôle Summerland et des Editions Icare
Summerland, le nouveau jeu édité par les éditions Icare, devrait sortir le jour de l'été, belle coïncidence pour ce jeu post-apocalyptioque aux relents écologiques. Pour l"occasion, Jean-François Morlaes, gérant des éditions Icare, a accepté de répondre à quelques questions, sur le jeu en lui même, mais également sur son activité d'éditeur.
Vincent L : Pour commencer, peux-tu te présenter, nous dire ce que tu fais pour les Editions Icare en règle générale ?
Jean-François Morlaes : Les éditions Icare sont une toute petite structure que je gère depuis maintenant trois ans. Le but est de jouer un rôle tremplin pour la création francophone en essayant au maximum de pousser de jeunes créateurs. Bien entendu les moyens sont très limités et seule l'huile de coude et la bonne volonté de tous les collaborateurs permet aux projets d'aboutir. Si je suis assez fier d'avoir fait survivre la structure jusqu'ici, la "crise" a failli me mettre à terre et cette année s'annonce encore très difficile, j'ai du donc revoir mes ambitions à la baisse et réduire un peu la voilure, en espérant que les nouvelles sorties trouveront leur public. Sinon dans le fonctionnement interne, Icare est en fait quasi associatif, j'essaie au maximum de ne pas brider la créativité des auteurs et illustrateurs avec lesquels je collabore. Néanmoins le fait d'être aussi une entreprise me permet de trancher les problèmes épineux sans souffrir de la lenteur des votes collégiaux liés aux associations par exemple. Aujourd'hui je pense qu'Icare a constitué un petit public heureux de découvrir des jeux qui auraient probablement eu du mal à se faire une place ailleurs. Néanmoins le marché, si l'on peut parler de marché (sic), est vraiment devenu très dur ces deux dernières années et une entreprise aussi modeste qu'Icare ne peut espérer survivre sans le soutien d'une communauté curieuse de nouveautés. Le bilan de cette année me permettra de décider si l'aventure peut continuer...
Vincent L : Peux-tu nous décrire Summerland, le prochain jeu à paraître chez les Editions Icare ?
Jean-François Morlaes : Summerland est un jeu court prenant place dans un univers post-apo. Pas d'explosion nucléaire ici, mais ce que l'on nomme "l'Evenement". Un jour on ne sait pourquoi, la végétation s'est mise à pousser de manière ahurissante, crevant le béton des immeubles en une nuit et recouvrant la planète d'un vaste océan végétal. La civilisation humaine a été mise à terre et seules quelques conglomérats d'individus se sont réunis en petite communautés pour survivre. La foret est devenue un dédale dangereux isolant des îlots d'humanité, et nombreux sont ceux qui se sont égarés au plus profond de son cœur en suivant le mystérieux "Appel" qui prend possession des âmes. Les joueurs incarnent des "Errants", des hommes et des femmes pouvant résister en partie à "l'Appel" en raison d'un traumatisme psychologique profond les ayant amené jusqu'aux limites de la folie. Je n'en dis pas plus mais les thèmes principaux sont la survie, le désespoir et la rédemption. Le jeu est basé sur un système très simple mettant un fort accent sur le rôle de la narration dans le jeu. Summerland est avant toute chose un jeu d'interprétation où les joueurs seront amenés à fouiller au plus profond de l'âme de leurs personnages.
Vincent L : Le pitch du jeu fait quelque peu penser à celui d'un autre jeu de rôle post-apocalyptique : Vermine. Quels sont les points commun/différences entre les deux jeux ?
Jean-François Morlaes : A mon sens l'approche de Summerland est plus "mystique", certainement en raison du fort pouvoir évocateur de la foret. De plus le jeu est fortement centré sur les personnages des joueurs et leur traumatisme intime, il propose une véritable mise en abîme qui, je pense, promet de fabuleux moments de "roleplay" autour des tables de jeu. A mons sens les deux jeux parlent d'une vision "post-apo-écolo" qui raisonne en beaucoup d'entre nous, néanmoins leur approche est différente et je doute qu'une partie de l'un ressemble à une partie de l'autre.
Vincent L : Vermine est quant à lui un jeu très meurtrier, basé sur un gros aspect survival dans lequel l'espérance de vie des personnages est très réduite. Est-ce également le cas dans Summerland, ou est-ce un jeu plus propice à de l'héroïsme ?
Jean-François Morlaes : Comme je l'ai dis, l'optique des deux jeux est singulièrement différente. Là où Vermine exploite les thèmes du "survival", Summerland joue plutôt sur la destructuration de la société et le besoin vital et mental de l'homme d'être intégré à une communauté. Le jeu se focalise sur l'histoire et le ressenti des personnages, le système n'est pas mortel car aucune mort n'est possible sans une justifcation au coeur même du scénario. La mort possible des personnages est bien entendu présente mais elle n'est pas le fait d'un jet de dé.
Vincent L : Le jeu fonctionne t-il sur un aspect "technologie d'avant", à la manière d'un Mad Max ?
Jean-François Morlaes : Le côté post-apo est vraiment focalisé sur la destruction de la civilisation humaine en tant que société organisée, la technologie a au final peu d'importance par rapport à la perte de cette cohésion sociale qui se montre bien plus importante. Bien entendu, il existe des vestiges du monde d'autrefois, mais le focus est plus basé sur la reconstruction d'une humanité mise à terre que sur l'exploitation des richesses d'avant le cataclysme.
Vincent L : Peux tu nous expliquer sur quels mécanismes fonctionne le système de jeu ?
Jean-François Morlaes : Le système de jeu est basé sur des "traits" qui sont de simples termes définissant le personnage, un peu dans l'idée que l'on trouve dans Hero Wars mais en plus intuitif. Les joueurs sont invités à être le plus narratif possible dans leurs actions et la résolution résulte d'un compromis trouvé entre le meneur et le joueur. Le tout, sans se priver du plaisir de jeter quelques dés, donne un résultat très descriptif aux actions.
Vincent L : Les versions françaises et anglaises sont-elles identiques, ou y a t-il des ajouts "made in France" ?
Jean-François Morlaes : Greg Saunders [l'auteur du jeu] tenait absolument à ce que la VF soit exactement la même que la VO. C'est un choix d'auteur que je respecte. Les seules modifications que je me suis permis d'apporter portent sur quelques légères modifications de la maquette.
Vincent L : Quel a été ton rôle sur Summerland ?
Jean-François Morlaes : Un rôle d'éditeur je dirais. J'ai été trouver l'auteur pour le convaincre de me confier la traduction de son jeu, puis j'ai eu à chercher une traductrice qui a fait un remarquable travail. Les textes traduits, je me suis attelé à la maquette du livre, la modifiant par endroit mais demeurant dans l'ensemble très fidèle à la version originale. Aujourd'hui, j'essaie de promouvoir le jeu en espérant que les joueurs francophones feront l'effort de découvrir l'excellent travail créatif de Greg Saunders.
Vincent L : Sous quel format va sortir Summerland ? A quel prix ?
Jean-François Morlaes : Le jeu va sortir sous la forme d'un petit manuel de 150 pages au format royal (le même que celui d'Antheas et de Labyrinth). Pour ce qui est du prix éditeur, il est conseillé à 19.95€. Le jeu sera distribué par Légion aux revendeurs, et pour ceux qui le souhaite directement sur le site des éditions. A savoir que les difficultés économiques m'ont obligées à revoir ma politique commerciale. Seuls 150 exemplaires seront distribués en boutique, le reste sera vendu en direct. Malheureusement ces "ventes directes" deviennent absolument vitales désormais, néanmoins je ne souhaite pas non plus abandonner totalement l'idée d'une présence des éditions en boutique. Donc pour les joueurs intéressés par le jeu, attention, la rupture en boutique risque d'être assez rapide, pensez à réserver...
Vincent L : Est-ce un jeu one-shot "tout en un", ou un suivi est-il prévu en cas de succès ?
Jean-François Morlaes : Oui Summerland est un jeu complet et l'auteur n'a pas pour l'instant prévu de "gamme". Néanmoins s'il devait produire des textes complémentaires, je me ferai un plaisir d'en publier une traduction.
Vincent L : Summerland est la première traduction des Editions Icare, qui, d'habitude, édite des création originales (et francophone). Pourquoi ?
Jean-François Morlaes : Tout d'abord je dois dire que ce jeu a été pour moi un véritable coup de cœur, je l'avais acheté par intérêt personnel pour les thèmes et je n'ai pas été déçu. De là j'ai eu une véritable envie de l'éditer et de le faire découvrir aux joueurs francophones. Il a fallu calculer dans tous les sens, les frais de traduction n'entrant en général pas dans mes budgets d'édition, mais au final le projet a pu se concrétiser et j'en suis heureux. Cette expérience fut vraiment excellente et je crois que je la renouvellerai. Nos cousins anglophones ont une approche beaucoup plus réaliste du "marché du jdr", ils savent très bien quelles en sont les contraintes et se montrent plus humbles dans leur démarche. Les créateurs français sont souvent plus bercés d'illusions. Le contact professionnel avec les auteurs anglophones est vraiment très agréable, simple et efficace.
Vincent L : Les jeux édités par les éditions Icare sont souvent issus de jeux de rôle amateurs (Labyrinth, Antheas, etc.). Comment sélectionnes-tu ces projets, qu'est ce qui fait que tu donnes leur chance à ces jeux, nécessitant parfois un gros travail de réécriture ?
Jean-François Morlaes : Effectivement j'aime à donner leur chance à des jeux qui aurait bien du mal à faire leur chemin jusqu'à une publication malgré toutes leurs qualités intrinsèques. Je sélectionne les projets en fonction de l'appétence que j'ai pour eux mais aussi de l'enthousisasme de leurs créateurs. Icare est une maison d'édition assez atypique et pour moi prévalent sur tout le reste un esprit de groupe, une volonté de mettre la main à la patte pour promouvoir les jeux, et surtout un bon esprit de travail où l'on ne cherche pas à tirer la couverture à soi.
Vincent L : Comment travailles-tu avec ces auteurs pendant le travail d'écriture ou de réécriture des jeux ?
Jean-François Morlaes : Pour ce qui est de mon intervention sur les projets eux-mêmes, je met un point d'honneur à la restreindre au maximum afin de laisser la plus grande liberté créative aux auteurs. Il m'arrive parfois de borner un peu, mais en général je leur laisse une grande autonomie. C'est je pense la plus value d'une maison d'édition comme Icare, les moyens sont trés limités, je n'ai pas la meilleure visibilité sur le marché, néanmoins les auteurs sont libres dans leur travail et j'essaie de le respecter de mon mieux. Néanmoins ce n'est pas le paradis non plus, j'ai parfois mauvais caractère et on me reproche de trop peu communiquer en interne. Ce n'est pas faux et je fais des efforts pour améliorer ces aspects. Le métier qui rentre, comme dirait l'autre...
Vincent L : Quel est le plus gros succès commercial des Editions Icare ?
Jean-François Morlaes : Clairement Praetoria Prima. A vrai dire c'est, pour l'instant, le seul jeu ayant vraiment accroché un public. A mon grand damne, l'auteur est trés occupé et ne peut pas immédiatement donner un suivi au jeu, j'essaie donc de trouver des solutions parallèles pour enrichir la gamme. S'il y a des auteurs en herbe qui souhaitent travailler sur le jeu, je les accueille à bras ouverts ! Niveau vente, Praetoria Prima approche les quatre cents exemplaires en trois ans d'exploitation. Les autres jeux tournent aux alentours de deux cents exemplaires vendus environ. Donc commercialement, pour le moment, je perd encore de l'argent pour chaque sortie, mon seuil de rentabilité étant plutôt aux alentours des 300 exemplaires. Je n'ai aucun tabou à ce niveau et je suis toujours heureux de pouvoir expliquer un peu comment cela fonctionne. L'édition du jeu de rôle, surtout indépendant, est plus une affaire de passion que de gros sous. Mon idéal serait d'arriver à faire en sorte qu'Icare soit plus solide financièrement parlant afin de pouvoir rémunérer mes collaborateurs de manière plus "normale" qu'à l'heure actuelle.
Vincent L : Peux-tu nous nous en dire un peu plus sur les futures publications à paraître chez les Editions Icare ?
Jean-François Morlaes : Assez rapidement vont suivre Cats : la mascarade, une véritable perle humouristique du jeu de rôle amateur français, où les joueurs incarnent des chats doués de raisons complotant pour la domination du monde (ou autre). Viendra ensuite La Croisée des Prophéties, une campagne complète pour Antheas. Sinon une autre traduction, qui a pris un retard dont je suis un peu honteux, le jeu EABA qui est un système assez savoureux, assortis de settings trés intéressants.
Vincent L : Quel regard portes tu sur le jeu de rôle en France actuellement, à la fois comme hobby, mais également comme activité commerciale ?
Jean-François Morlaes : La situation du jdr en France me semble assez paradoxale. D'un côté on assiste à un véritablement bouillonement créatif, une production fournie et de qualité, de l'autre à un écroulement économique du secteur. Je ne vais pas proclamer la mort du jdr, à mon avis c'est un loisir qui n'est pas menacé. Par contre, le jdr en tant qu'activité commerciale, lui, est en péril. Je pense que si la situation ne se redresse pas d'ici une décénnie, il sera bien difficile de trouver une boutique proposant encore du jdr sur ses étagères, sauf peut-être du D&D. Néanmoins, je demeure optimiste en me disant que l'énorme ralentissement que l'on ressent depuis deux ans est le fait d'une conjoncture économique globale, et que les choses vont finir par repartir d'ici quelques mois. Croisons les doigts !
Vincent L : Pour finir, je te laisse carte blanche pour t'exprimer sur ce que tu veux... à toi !
Jean-François Morlaes : Déjà je te remercie de me laisser l'opportunité de parler un peu de notre travail. Sinon j'en profite pour signaler qu'Icare va s'ouvrir à la publication de romans, j'aimerais vraiment publier de la SF made in france. Il est encore un peu tôt pour affirmer quoi que ce soit, mais si la chose est possible alors ça se fera. What else ?
Publié le vendredi 18 juin 2010 à 09h00
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Summerland
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Merci pour cette interview intéressante ! :)
Amatsu, le 18 juin 2010 17h21 -
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Plus j'en apprend sur ce jdr plus j'ai envie de me le procurer!
merci pour toutes ces infos de première main! =)
D'ailleurs étant joueur j'attends la campagne d'Antheas avec impatience également =D
Granny Forever, le 24 février 2011 11h33