Entretien avec... Alain Schlockoff
Le redacteur-en-chef de l'Ecran Fantastique nous parle de sa passion

 

C'était au milieu des années 70. J'étais un gamin d'une dizaine d'années. Un soir, alors que j'étais de passage à Paris pour rendre visite à la famille, l'on m'amena au Palais des Congrès pour assister à une soirée de cinéma à thématique « fantastique ». Oh, fantastique, elle le fut certainement pour moi. Je découvris là, ébahi et le souffle court, non seulement un imaginaire que, jusqu'alors, je ne connaissais que par mes lectures et quelques films visionnés à la télévision, mais aussi un public passionné, chaleureux et enthousiaste. Cette manifestation portait un nom qui résonne encore de manière si particulière dans ma mémoire : c'était le Festival du Film Fantastique de Paris ! Ce fut véritablement à cette date que je pris conscience de ma passion pour la culture fantastique ; une véritable révélation, un électrochoc ! Et à partir de cette date, deux personnes devinrent à mes yeux des demi-dieux, des idoles (d'autres se greffèrent à ce panthéon au fil des années, bien sûr). Ce duo était composé des créateurs et maîtres de cérémonie de ce sabbat de fantasticophiles en transe, ils avaient pour noms Alain et Robert Schlockoff !

Plus de trente plus tard, ma passion de cinéphile est restée intacte. Alors, imaginez mon enthousiasme lorsqu'Alain Schlockoff a accepté ma proposition d'interview pour le compte de Scifi-Universe. Ce grand monsieur du paysage fantastique hexagonal s'est alors gentiment prêté au jeu des questions réponses... et je lui en remercie du fond du cœur.

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SFU : Bonjour, Alain, avant de jeter un regard sur le passé, parlons du présent. Pouvez-vous nous dire qu'elles sont vos occupations professionnelles actuelles? Et celles de votre frère?

Alain Schlockoff : Je suis rédacteur en chef de la revue L'Ecran Fantastique... depuis 40 ans maintenant ! Mon frère est toujours attaché de presse et s'occupe donc du lancement de films (parfois fantastiques, mais plutôt des films d'auteur français qu'il choisit au moment de la production ou préproduction).

SFU : Vous êtes aujourd'hui considéré, à juste titre, comme l'un des fondateurs de la culture fantastique française. Mais comment avez-vous chopé ce virus: la passion du fantastique?

A.S. : Mes souvenirs remontent à l'âge de 4 ans.

J'ai été très impressionné par Le Monstre des Temps Perdus d'Eugène Lourié, vu à l'âge de 6 ans et Le Fantôme de la Rue Morgue de Roy Del Ruth, découvert quelques mois après. C'est également l'année où j'ai découvert Edgar Allan Poe, qui m'a fasciné. Ces films m'ont tellement fait peur que en guise d'exorcisme, j'ai voulu retrouver ces sensations en en visionnant d'autres, autant que je pouvais. Et parallèlement, j'ai découvert la SF (ce qui était le cas du Monstre des temps perdus, mais vu mon âge, je l'avais pris pour un film d'épouvante), qui m'a émerveillé, et qui, au cinéma, reste mon genre favori (alors qu'en littérature, c'est l'épouvante). Littérature et cinéma sont pour moi indissociable, l'un se nourrissant de l'autre.

SFU : Les plus jeunes de nos lecteurs ne savent peut-être pas l'influence que vous avez eu, votre frère et vous, sur le développement du cinéma fantastique hexagonal, et cela dés les années 70. Commençons par le célèbre Ecran Fantastique. Pouvez-vous nous raconter comment est né cet illustre magazine, désormais incontournable lorsque l'on parle du paysage fantastique français ? Une naissance inattendue alors que la France vivait en pleine période Nouvelle Vague...

A.S. : En fait, L'EF est une conséquence de ma passion pour les fanzines. Au départ, je me destinais à être réalisateur, c'est ce que j'ai toujours voulu faire (j'ai d'ailleurs fait une école de cinéma à 20 ans). Mais, parallèlement, j'adorais la presse, que je dévorais (principalement les magazines américains comme Famous Monsters of Filmland et tous les autres - il y en avait beaucoup à l'époque, que je trouvais soit à Londres, soit chez Brentano's, la librairie américaine près de l'Opéra). Dès que j'ai pu (vers 14 ans), je me suis acheté une ronéo pour faire des fanzines (Les Fameux Monstres du Cinéma, Astarté, Crépuscule, Mercury Bis n°2, Metaluna, etc). En 1967, j'ai décidé de créer un fanzine plus ambitieux,  Horizons du Fantastique, qui dès le n°2, est devenu une revue imprimée. Pour diverses raisons, j'en ai perdu le contrôle, et suis donc revenu à mon point de départ, en 1969, en créant un zine sur le cinéma (alors que Horizons traitait du fantastique sous ses divers aspects). L'EF a été créé aussi suite à ma frustration face à Midi Minuit Fantastique, qui, dans sa 1ère période (surtout les 3 premiers numéros, auxquels avait participé Jean Boullet) était pour moi une revue formidable, avant de devenir un magazine sans grand intérêt puis ne paraissant qu'une fois par an ou presque. Mais j'adorais surtout les fanzines américains, principalement les prozines. Un ami m'avait passé les fanzines de John Carpenter et autres (comme Photon, The Garden Ghoul Gazette de Fred S. Clarke, etc). C'est précisément parce que le fantastique n'était pas un genre très populaire que j'avais à cœur de le défendre. D'abord les fanzines, puis les magazines. Puis un festival.

SFU : Oui, bien entendu, il y a le Festival du Film Fantastique. Parlons-en un peu si vous le voulez bien. Une extraordinaire aventure, je pense? Je l'ai connu bien jeune, et je me souviens de l'engouement du public, au Palais des Congrés puis au Grand Rex. Comment naquit cette idée de monter un tel évènement sur Paris? Cela n'a pas dû être de tout repos?

A.S. : En fait, je voulais faire la promo du genre que j'aimais. Avant 1972, date du 1er festival, j'ai organisé un certain nombre d'évènements. Ayant découvert en 1962 à Trieste le Ier Festival du Film de SF, j'attendais qu'un semblable événement ait lieu en France. Mais je ne voyais rien venir... Je savais que la promotion du genre via une association (j'en avais déjà créées 2 ou 3) ou via un magazine était inefficace car ne touchant que les personnes déjà concernées et non le grand public. A l'occasion d'une des soirées organisées par l'Ecran Fantastique à l'Institut d'Art et d'Archéologie de Paris (où se tenait principalement notre Ciné-Club, où nous présentions des films en avant-première en présence des réalisateurs), j'avais publié et mis à dispo des 600 spectateurs venant à chaque séance une brochure expliquant mon intention d'organiser le premier festival du film fantastique en France, et que j'avais besoin d'une salle (je n'en trouvais pas, aucun exploitant n'était intéressé). Quelque temps après, l'un des responsables du Centre Culturel Communal de Nanterre, qui programmait le Théâtre des Amandiers (600 places) m'a dit qu'ils étaient intéressés, et mettrait leur salle à ma dispo, moyennant une répartition financière entre nous sur les entrées, les recettes me revenant servant à payer les frais d'organisation. Après 6 mois de travail (je sortais de mon service militaire), le Ier festival put enfin avoir lieu, du 16 au 20 mai 1972 au Théâtre des Amandiers de Nanterre. On l'avait appelé Convention par rapport à la terminologie américaine (pas claire, donc on changera le nom plus tard) et il n'y avait pas, la Ière année, de compétition, tout simplement parce que la direction du Centre Culturel, à obédience communiste, m'avait dit qu'elle désapprouvait ce système de compétition. Je n'aurais pas dû accepter, mais je l'ai fait. Cela s'est très bien passé à tous points de vue, mais cela n'a pas été de tout repos effectivement, ni pour cette année-là, ni pour les 18 qui ont suivi.

SFU : Des stars, vous avez dû en voir passer une certaine quantité. Certains, je me doute, doivent même figurer parmi vos amis.  Aujourd'hui, avec le recul, quel est votre plus beau souvenir de cette période?

A.S. : La venue de Peter Cushing la Ière année (et bien sûr la suivante aussi). C'était mon acteur préféré (il l'est toujours). Et j'ai découvert que l'homme était aussi merveilleux que le comédien. On a tous été en état de grâce dès qu'il a été parmi nous. Sans lui, sans sa venue, je ne sais pas si on aurait continué à faire aussi longtemps le festival. Il en était le parrain spirituel.

SFU : Quelques anecdotes à nous raconter? Allez-y, nous en sommes friands!

A.S. : Il y en a beaucoup. Par exemple, lors de la présentation du Massacre à la tronçonneuse, il y avait tellement de monde autour du Rex que la circulation était bloquée sur les Grands Boulevards, que les gens marchaient sur les toits des voitures pour accéder à la salle !


Quand Vincent Price est venu, pareil, il y avait tellement de monde (3 000 personnes à l'intérieur, environ 4.000 dehors), qu'on ne pouvait accéder à la salle. Il a fallu que Vincent Price, nous et 2 gardes du corps empruntions des souterrains pour accéder en temps et en heure au Grand Rex, où je l'ai présenté sur scène.


La projection de Suspiria, en 1977, était une surprise. Les gens ne connaissaient ni Dario Argento, ni le film. A la fin de la projo, il a été soulevé par le public et porté à bout de bras comme une rock-star !


Sam Raimi venant présenter Evil Dead et faisant une cascade sur scène, face au public ! On a bien ri...
Quand on a présenté au Palace en 1973 Solaris, le projectionniste a par erreur inversé 2 bobines. Le public ne s'en est pas aperçu ! (nous non plus...)


Lorsqu'on a présenté Terence Fisher au public, j'avais demandé au responsable des éclairages de bien le mettre en valeur, à coups de projecteur. J'annonce donc Terence Fisher, celui-ci se lève... et le chef-éclairagiste plonge la salle du Palace dans le noir (il n'avait rien compris). Terence Fisher a donc été ovationné dans l'obscurité la plus complète !


Pour « épicer » un peu les choses,j'avais raconté, pour la seconde année du Palais des Congrès, aux journalistes des quotidiens que l'on disposait d'un système unique permettant de faire tomber de l'eau sur le public lors des scènes de tempête dans un film. Je ne me doutais pas que je retrouverais cette info à la une de quelques quotidiens !


Un jour, au Palais des Congrès, on avait annoncé la projection d'un film d'horreur en son stéréophonique (c'était rare à l'époque, bien avant la dolby-stéréo). On se rend compte, la veille, en faisant des essais, que la bande est mono. J'en parle au responsable du son du Palais des Congrès me disant qu'il va arranger le problème. Et le jour de la projection, il se retrouve au milieu de la salle, réglant les manettes, avec le son un coup à gauche, un coup à droite. Les gens étaient émerveillés ! (il est devenu depuis directeur du Palais des Congrès !)

etc.

La salle du Grand Rex lors du festival de Paris


SFU : Selon vous, qu'est-ce qui démarquait un festival comme celui de Paris avec un autre, qui se déroulait à la même période, c'est à dire Avoriaz. Pouvait-on parler de concurrence ou de complémentarité?

A.S. : D'une part, le nôtre a été le Ier festival du genre en France, Avoriaz a suivi, et sur un malentendu (quand ils s'en sont rendus compte, ils m'ont invité à déjeuner, et je me suis occupé de la programmation du second festival d'Avoriaz. Mais après nos routes ont divergé). Donc, le mal était fait. Si Avoriaz avait existé, je n'aurais jamais créé un autre festival sur le genre. La différence essentielle est que le festival de Paris était destiné avant tout au grand public (parisiens et provinciaux), alors qu'Avoriaz était un festival réservé aux invités (pendant longtemps, il n'y avait que 10 places disponibles par séance aux spectateurs payants). Par la force des choses, ce fut une complémentarité. Mais Avoriaz, pendant des années, a essayé de nous torpiller, parfois en proposant des dessous de table à des responsables d'organismes officiels (j'en ai été témoin personnellement !). Et puis les choses se sont tassées. Vers la fin d'Avoriaz, j'ai même été invité à faire partie d'un Jury - et j'y suis allé !

SFU : Pourquoi cet arrêt du Festival ? Pensez-vous qu'aujourd'hui, un tel évènement, puisse revoir le jour dans la ville de Paris ?

A.S. : J'ai toujours organisé et financé seul le festival. En 1989, pour la 1ère fois, une salle a souhaité cofinancer avec moi le Festival. C'était le Palais des Sports de Paris. On partageait les risques, et j'étais d'accord (d'autant que le lieu - 6.000 places - me plaisait). Par sécurité, on avait besoin d'un sponsor. Le Palais des Sport en avait trouvé facilement un, et l'édition devait alors lieu en 1990. C'est là qu'éclate la Guerre du Golfe, provoquant une véritable psychose en France. Le sponsor se retire, et le Palais des Sports et moi-même hésitons à prendre le risque financier seul. On se dit qu'on remettra ça à l'an prochain, en 1991. Mais en 1991, on ne trouve plus de sponsor. Voilà l'explication. Et puis après, le temps a passé. On a fait d'autres tentatives, notamment au Palais Omnisport de Bercy (6.000 places), où tout était prévu, je n'avais plus qu'à signer le contrat. Mais j'ai estimé qu'il n'était pas équitable pour moi (de directeur du festival, je me retrouvais relégué au poste officiel de « directeur artistique » sans avoir été prévenu, tout cela parce qu'ils ne voulaient pas que j'examine leurs comptes financiers, je suppose). Ensuite, on en a encore reparlé pour le Palais des Congrès, il y a quelques années, mais les horaires ne me convenaient pas. Rien n'est exclu, mais il faudrait un soutien financier de la Mairie de Paris, du Ministère des Affaires Culturels, du CNC et je ne pense pas que le moment soit propice dans la conjoncture actuelle. Un Festival, en général, se fait avec le soutien financier de la municipalité. Cela n'a jamais été le cas pour le nôtre, et c'est pour cela qu'il a toujours été difficile à faire.

SFU : Dans les années 80, âge d'or du fantastique, deux magazines régnaient presque sans partage sur le monde de la presse fantastique: l'Ecran Fantastique et Mad Movies. De nombreux fans, comme moi d'ailleurs, achetaient d'ailleurs les deux sans hésitation. Quels rapports entreteniez-vous avec le créateur de Mad Movies, Jean-Pierre Putters, autre "figure" du paysage fantastique français?

A.S. : Il y a eu souvent des « piques » dans Mad Movies à l'encontre de l'Ecran Fantastique (dans chaque numéro, fut un temps). Pourtant, c'est l'EF qui a aidé, à ses débuts, Mad Movies à se faire connaître (via le Festival, une sorte de partenariat) lorsque MM était encore un fanzine. Mais malgré cela, mes rapports avec JP Putters ont toujours été cordiaux. Je l'ai nommé membre du Jury lors d'une année, et j'ai accepté de même d'être membre du Jury à son festival du film 8mm (très bien organisé, c'était au Théatre Marigny, près des Champs Elysées). Lorsque j'ai été obligé de faire un procès à l'encontre d'un de mes éditeurs malhonnêtes, en 1988 (procès gagné évidemment), Jean-Pierre Putters (tout comme Marc Toullec) a témoigné pour moi, et je lui en suis reconnaissant.

SFU : Les fans de mon âge se souviennent aussi très bien de l'aventure Fantastyka, un magazine d'une qualité exceptionnelle (né en 1993, si je ne me trompe pas) qui se consacrait à développer de gros dossiers thématiques. Pourquoi avoir lancé cette revue?

A.S. : Essentiellement pour continuer à traiter, Pierre Gires et moi, de notre passion : l'histoire (et les thématiques) du cinéma fantastique. C'était l'orientation initiale de l'EF, qu'on a dû progressivement abandonner quand on est passé d'une revue d'archives à un magazine d'actualité (avec le n°12 de l'EF). Je voulais revenir à l'ancienne formule de l'EF (un peu comme lorsque les créateurs de Première ont choisi de faire AUSSI Studio), et surtout, je l'ai fait parce que je savais que cela plairait à Pierre Gires. Sans lui, je ne l'aurais pas fait.

SFU : Comment se décidait la ligne éditoriale de ce magazine 100% indépendant? Qui décidait des thèmes à développer ?

A.S. : On se consultait, Pierre Gires et moi. On choisissait les thèmes inédits, ceux qu'on n'avait encore jamais traités dans l'E.F.

SFU : Le numéro 24 (avec le thème des parodies fantastiques) fut le dernier numéro de Fantastyka sous l'ère Norbert Moutier. On espérait tous une reprise. Elle n'a hélas pas eu lieu. Ce magazine est-il désormais bel et bien enterré?

A.S. : Difficile à dire. Il faut attendre que la crise frappant la presse actuellement passe (j'espère que cela sera le cas) et après on verra.

Le numéro 21 de Fantastyka (2002) consacré aux films catastrophe, à Charlie Chan et à Nosferatu

SFU : Que s'est-il passé avec Toxic, l'extension gore, dirais-je, de l'Ecran Fantastique? J'avais entendu dire que cette revue était chère à votre cœur.

A.S. : Toxic était la continuité du magazine Vendredi 13 que j'avais créé. Un moment donné, j'avais le choix entre plusieurs éditeurs. L'EF étant alors édité par CyberPress, par honnêteté, je le leur ai proposé en premier Toxic. Ils ont accepté et on l'a fait pendant un an. Ensuite, au moment de renouveler le contrat, le directeur des rédactions du groupe a fait remarquer qu'on avait perdu 2000 Euros sur l'année, et donc ils ont choisi d'arrêter. Ce qui était complètement stupide car le numéro à paraître avait une recette de pub. qui aurait dégagé 6000 Euros de bénéfices, donc de quoi rembourser la dette tout en étant bénéficiaire. Ils le savaient, mais malgré tout, ils n'ont pas voulu continuer. Je pense que peut-être la véritable raison était que le « genre » du magazine n'était pas très bien pour l'image de marque du groupe. Après, je me voyais difficilement aller proposer Toxic à des concurrents de CyberPress (qui étaient intéressés). Bref, je m'y suis sans doute mal pris. Finalement, on a compensé ça par La Crypte dans l'E.F.

SFU : D'ailleurs, avec l'actuelle "reconnaissance" du gore, style graphique très tendance, ne pensez-vous pas qu'un magazine extrême aurait un rôle à jouer ?

A.S. : Si, tout à fait. Le problème est que la presse ne se porte pas bien en ce moment. Il faut donc attendre une occasion propice pour ressusciter Toxic.... et Fantastyka.

SFU : Aujourd'hui, au moment critique où Studio et Ciné Live fusionnent pour survivre, comment se porte l'Ecran Fantastique?  Quels sont les armes de votre magazine qui lui permettent de lutter avec succès contre les nouveaux moyens de communication?

A.S. : L'Ecran Fantastique se porte très bien. Au point que.... Mais c'est une surprise ! (vous en saurez plus dans quelques mois, voire quelques semaines). Les armes ? Avoir su gérer l'apparition d'Internet et fonctionner en symbiose. Etant moi-même un fan d'internet (je vais sur tous les sites 3h par jour minimum), je sais ce qu'on y trouve, et ce qu'on n'y trouve pas, et j'essaie de proposer dans l'EF des sujets intéressant à la fois nos lecteurs traditionnels et les internautes. Les atouts de l'EF : une équipe soudée, et un nouvel éditeur particulièrement dynamique, appréciant le genre et ayant constamment des idées pour faire évoluer le magazine. Bref, un travail d'équipe qui fonctionne. Autre atout : l'excellente réputation du magazine, aussi bien auprès du public que des professionnels.

SFU : Parlons, si vous le voulez bien, cinéma. Etes-vous un nostalgique inconditionnel ou trouvez-vous un réel intérêt dans le cinéma fantastique actuel?

A.S. : J'adore le cinéma actuel. Chaque année, de très nombreux films m'apportent une vive satisfaction. Etant cinéphile depuis 55 ans, j'ai pu assister à toutes les vagues : la Hammer et autres firmes anglaises des années 60, les productions AIP américaines (les Corman notamment), les années 70 et l'explosion du cinéma indépendant, les années 80 et la venue de très jeunes réalisateurs passionnés, les émergences d'autres cinématographies (cinéma australien et néo-zélandais, cinéma asiatique, etc), le développement des SFX, etc etc. Chaque période possède ses chefs-d'œuvre et ses navets, mais je ne trouve pas qu'il y ait de moins bons films aujourd'hui, je pense que la proportion demeure identique. La grosse différence est qu'avant, le cinéma reposait beaucoup sur les acteurs (Boris Karloff, Bela Lugosi, Vincent Price, Peter Cushing, Christopher Lee, Barbara Steele, etc) alors qu'aujourd'hui, les vedettes, ce sont les sujets et les réalisateurs. Encore qu'il y ait des exceptions: Johnny Depp, Keanu Reeves, etc. J'ai toujours aimé les époques passées (quand j'étais adolescent, en pleine période Hammer, je me passionnais pour les classiques de l'Universal et aussi les films muets, que ce soient les Lon Chaney ou l'expressionnisme allemand).

C'est comme en littérature: adorer Edgar Allan Poe, Howard Phillips Lovecraft, Richard Matheson, Jean Ray, Jules Verne, Herbert George Wells, Bram Stoker et autres ne m'empêche pas de me passionner pour Stephen King.... ou Stephenie Meyer !). Ce qui m'interpelle, avant tout, c'est la qualité, et on la trouve autant dans les films de studio d'hier que dans les œuvres des jeunes créateurs d'aujourd'hui (cf. l'étonnant essor du cinéma fantastique ibérique).

SFU : L'arrivée de l'ère numérique, du HD et de la vidéo a permis de mettre en place des productions de film à moindre coût. Vous avez bien sûr vécu, de votre position de rédacteur en chef de l'Ecran Fantastique, cette mutation aux premières loges, quel est le regard que vous portez sur cette "révolution"? Pour vous, est-ce un mal ou un bien?

A.S. : Au départ, j'étais plutôt sceptique, surtout quand George Lucas a annoncé que le cinéma deviendrait numérique. Mais finalement, devant le résultat, je pense que cette évolution est positive. Ainsi, pour 200 Euros, par exemple, on peut tourner un court-métrage HD de qualité de 10mn. Cela aurait été totalement impensable il y a encore 5/6 ans. Et, adorant le relief, je trouve que le relief 3D numérique est vraiment un grand pas en avant.

SFU : De plus en plus de films "digitaux" voient le jour. 300, Final Fantasy, Boewulf, Sin City, tous ces films, à des niveaux différents, utilisent des technologies de pointe pour créer l'illusion cinématographique. J'ai un peu de mal avec ce type de cinéma (que je trouve un peu froid). Et vous, qu'en pensez-vous?

A.S. : On en est encore au stade des débuts, il faut patienter. Mais j'avoue être très enthousiaste face à 300 et Sin City, et je ne regrette pas le format adopté (j'ai plus de réticences pour Final Fantasy et La Légende de Beowulf).

SFU : Que pensez-vous de cette vague de films de fantômes asiatiques qui envahit désormais les écrans? Et de cette manie américaine d'en tirer des remake?

A.S. : La découverte, à l'époque, de Godzilla m'a rendu fan du cinéma asiatique ; pas seulement les kaiju-eigas et les films de SF japonais, mais aussi les films purement fantastiques, ceux de fantômes, débutés dans les années 50. C'est une longue tradition du cinéma japonais, que l'on retrouve dans le cinéma hong-kongais, thaïlandais, coréen, etc. (et même indien à présent). J'ai toujours beaucoup aimé. Ring, l'original de Hideo Nakata, contient l'une des scènes les plus terrifiantes de toute l'Histoire du Cinéma. Le remake de Gore Verbinski est excellent, peut-être même supérieur à son modèle. Je suis donc à 100% pour les films de fantômes asiatiques (très diversifiés tout de même malgré certaines figures imposées), et également pour les remakes, surtout quand ce sont les mêmes cinéastes aux commandes des uns et des autres.

SFU : Et sur cette vague d'adaptation de comics?

A.S. : Elle me passionne également. Avec Spider-Man de Sam Raimi, on est entré dans l'âge adulte des adaptations de comics à l'écran, et on y est resté. The Dark Knight est un chef-d'œuvre !

SFU : Et si vous deviez tirer un bilan sur l'état du cinéma fantastique et horrifique français? Nous avions discuté au dernier BIFFF avec les responsables de la Fabrique de Films et ils nous avaient fait part des difficultés qu'il y a à produire et distribuer un film de genre en France. Ils ne respiraient pas l'optimiste.

Alain Schlockoff acceuille Christopher Lee, invité au Festival, à l'aéroport de Paris-Orly (1974)

A.S. : Eh bien, je ne peux que constater qu'à la place du néant d'il y a quelques années, les films du genre se multiplient en France, et parmi des derniers, certains sont excellents (Haute Tension, A l'intérieur, etc). Je pense que cela va continuer, car les Français prouvent actuellement qu'ils sont aussi forts, voire plus forts, que les Américains dans ce domaine (je parle de l'horreur, spécifiquement, c'est à dire du gore). D'ailleurs, aux USA, la réputation des « films d'horreur français » est grandissante. De toute façon, comme toujours, c'est le public qui décide et fait sa loi. Le problème vient plutôt, à mon avis, des critiques, lesquels ont de tout temps été réticents face au fantastique made in France. Ce sont eux qu'il faudrait éduquer...

SFU : Avec tous ces cinéastes français (Siri, Kounen, Aja, Kassovitz, Moreau et Palud) qui partent travailler sur des productions américaines, peut-on parler d'expatriation par nécessité ou d'une plus simple exportation d'un savoir-faire?

A.S. : Les deux, je pense. Mais c'était déjà le cas de Jacques Tourneur... dans les années 40 ! Pour moi, le cinéma se fait surtout à Hollywood, mais avec des artisans de tous les pays. Le cinéma américain est un cinéma universel - c'est le seul, d'ailleurs. Donc, qu'un cinéaste de talent (Alexandre Aja par exemple) tourne ses films aux USA ou en France, quelle importance ?

SFU : Quel est le dernier film qui vous a scotché sur votre fauteuil? Y a-t-il un "jeune" réalisateur que vous appréciez particulièrement?

A.S. : Le dernier chef-d'œuvre que j'ai vu est L'Etrange histoire de Benjamin Button, qui correspond exactement à ce que j'aime au cinéma : le romanesque. Et aussi l'imagination et la féerie. Le fantastique n'est pas qu'un genre en soi, il permet également un regard différent sur le monde qui nous entoure. Parmi les « jeunes », je dirais Alexandre Aja (et pourtant, j'avais détesté son premier film !).

SFU : De quels films se compose votre DVDthèque idéale?

A.S. : Les Survivants de l'infini, 2001, l'odyssée de l'espace, L'Aventure de madame Muir, La Maison du Diable, Les innocents, El Vampiro, Le sang et la rose, King Kong, Les chasses du comte Zaroff, La fiancée de Frankenstein, The Mysterians, la Machine à explorer le temps, Le cauchemar de Dracula, FrankensteinLe Masque du démon, L'Etrange histoire de Benjamin Button, Titanic, Freaks, Godzilla, Les dimanche de Ville d'Avray, La Belle et la bête, Le Voyeur, le Seigneur des Anneaux, Les yeux sans visage, Judex, Métropolis, Docteur Mabuse, Somewhere in Time, Les enfants du Paradis, Hamlet, Le cavalier noir, Scaramouche, Les contrebandiers de Moonfleet, La rivière sans retour.

 

 

 

 

Auteur : Nicolas L.
Publié le samedi 28 février 2009 à 14h43

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    Très interressant!Passionnant!!.. pour moi qui possède les CINEMA D'AUJOURD'HUI n°3et7,anciennes versions de L'ECRAN FANTASTIQUE-1975et76-dont Alain Schlockoff était déja le rédacteur en chef...
    gulliver, le 7 mai 2012 23h41

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