L'Etrange Festival : Jour 4
l'évènement Snowpiercer


Côté rétrospective et surtout perles rares sorties de l'oubli, l'Etrange Festival a proposé à son public, en cette quatrième journée, de découvrir Caravane vers le soleil (Thunder in the Sun), western réalisé en 1958 par Russell Rouse et ayant pour particularité de mettre en scène un groupe de colons originaires des Pyrénées basques qui immigrent vers le Nouveau Monde pour s'installer en Californie et cultiver la vigne.

Caravane vers le soleil

Si Jeff Chandler joue dans la grosse caricature le héros viril particulièrement courageux et séducteur, et que la réalisation de Russell Rouse semble manquer d'ambition, cette Caravane vers le soleil ne manque pas de points positifs en sa faveur. Tout d'abord l'histoire de James Hill et Guy Trosper autour de ces colons français aux coutumes peu orthodoxes se révèle assez passionnante car étrangement peut abordée au cinéma. Les mœurs autour des mariages arrangées, des superstitions de ce peuple des Pyrénées ou encore leur  religion ou la conception de la famille confrontée aux règles -libre - de l'Ouest américain amusent beaucoup. Le scénario de Russell Rouse et Stewart Stern n'évite pas les gros clichés tel que le sempiternel trio amoureux ou encore des indiens attaquant bêtement. Mais le rythme global est plutôt bien géré, cumulé à une durée assez courte (1h20) qui apporte une efficacité à l'ensemble et qui fait qu'on ne s'ennuie jamais. L'approche nouvelle de l'affrontement contre les Indiens, via des cris et une forme de combat folklorique, est indéniablement un plus et donne une certaine originalité au film. Sans compter que Susan Hayward brille particulièrement en ne manquant ni de charisme ni de caractère (dommage que le casting masculin ne suive pas).

Bref, la Caravane vers le soleil est une pépite qui méritait bien d'être déterrée, même s'il ne constitue pas un chef-d'œuvre du genre mais une véritable curiosité qui, pour le coup, mériterait presque un remake.

Il faut signaler également la projection présentée par Albert Dupontel du formidable Elmer Gantry le Charlatan de Richard Brooks, charge féroce mais subtile contre l'endoctrinement évangéliste et la "commercialisation" de la religion pendant la Grande Dépression, offrant au grand Burt Lancaster un de ses meilleurs rôles justement récompensé par un Oscar en 1961. A rapprocher du dérangeant Le Malin de John Huston avec Brad Dourif en prédicateur opportuniste.

(Avis de Richard B)

The Last Supper

Changement d'époque et de registre avec une grosse production chinoise. Après le puissant City of Life and Death (sur le massacre de Nankin en 1937), le cinéaste chinois Lu Chuan confirme avec The Last Supper qu'il est un metteur en scène très doué, et très attaché aux fresques historiques, entre brutalité et mélo.

A côté de l'aspect historique (l'armée qui affronta la Dynastie Qin pendant la guerre Chu-Han, la tentative d'assassinat de l'Empereur durant un banquet…), dont le traitement réaliste semble d'ailleurs avoir dérangé les autorités de censure chinoise puisque la sortie du film a été bloquée là-bas, l'histoire en elle-même est classique, avec son lot de trahisons, de coups bas, de manipulations, de duels psychologiques, du chuchotements fourbes et de bavardages sentencieux. Ça parle beaucoup et les rares moments d'action sont éludés (on est loin des longs combats du précédent film de Lu Chuan), mais le réalisateur sait instaurer une belle intensité dramatique entre les personnages (tous incarnés par des acteurs habités, dont Daniel Wu et Chang Chen) et n'a pas besoin de faire dans la surenchère d'action pour créer un véritable souffle épique.

C'est ici la forme qui l'emporte et qui titille la fibre émotionnelle : mise en scène flamboyante d'une précision remarquable, plans iconiques en pagaille (cf. les quelques visions de la bataille), photo somptueuse, prod design renversante (décors, costumes, paysages…), plans larges impressionnants… Les gros moyens sont là, mais le talent aussi. La musique est également largement au-dessus de la moyenne dans le genre (pour une fois ce n'est pas de l’orchestration au synthé). Il faut faire l'effort de se plonger dans ce récit tortueux pour savourer ce drame historique ambitieux, dense et visuellement magnifique. Du beau cinéma.

(Avis de Jonathan C)

We are affiche

Passons ensuite au nouveau film de Jim Mickle, qui semble décidément être fasciné par l'idée de propagation (physique ou mentale) et par le cannibalisme, puisque les gens se bouffaient déjà entre eux dans ses bons Mulberry Street (qui ressemblait à un 28 jours plus tard réalisé par Abel Ferrara) et Stake Land (qui mixait 28 jours plus tardLa Route et Vampires), qui témoignaient d'un univers aussi référentiel que nihiliste. Il abandonne cette fois la mythologie fantastique et le modèle de 28 jours plus tard pour un récit plus réaliste autour d’une famille cannibale touchée par le décès de la mère. We are what we are est en réalité le remake d'un film mexicain récent mais peu connu, Ne nous jugez pas (présenté à l'Etrange Festival en 2010).

Jim Mickle ne tape pas dans la description dégénérée façon Massacre à la tronçonneuse et opte plutôt pour un récit psychologique posé et atmosphérique à la Jeff Nichols, dans un petit bled de l'Amérique profonde. On décelait d'ailleurs déjà d'étonnantes touches de mélancolie dans les précédents films du jeune cinéaste, et il y a dans ce We are what we are un superbe romantisme morbide (cf. la scène d'amour avortée dans le cimetière). Le rythme est donc lent et le secret de la famille ne se dévoile que par bribes, par sous-entendus et par non-dits. Mickle instaure une fausse tranquillité, qu'il s'amuse à remuer avec une ambiguité dérangeante et à bouleverser par des fulgurances dégueulasses mais pas vulgaires (la séquence finale est saisissante). Même dans le traitement de la violence, il y a plus de poésie macabre que de trash. Ça n'a pas empêché le public de Deauville d'être choqué, ce qui n'est pas une mauvaise chose…

Toujours co-écrit par Nick Damici, le complice acteur de Jim Mickle (il apparait de nouveau ici, dans un rôle cependant moins important que dans Mulberry Street et Stake Land), We are what we are are touche donc par sa sensibilité, par son pessimisme désabusé et par l'interprétation à fleur de peau des deux sœurs (Ambyr Childers et Odeya Rush) et du père (Bill Sage, vu dans American Psycho, Les Initiés, Mysterious Skin, Precious et Boardwalk Empire). A noter la présence un brin inutile de Kelly McGillis (bien loin de Top Gun), que Mickle dirigeait déjà dans Stake Land, et de l’excellent Michael Parks.

(Avis de Jonathan C)

Lire la critique CONTRE de Vincent L.

 

Le film événement de cette XIXème édition de L'Étrange Festival était bel et bien Snowpiercer, Le Transperceneige, adaptation particulièrement attendue d'une bande-dessinée post-apocalyptique française créée par Jacques Lob (scénario) et Jean-Marc Rochette (dessin) et transposée ici à l'écran par le réalisateur de The Host et Memories of murder.

17 ans après l’échec d’une expérience pour lutter contre le réchauffement climatique, le monde se trouve plongé dans une nouvelle ère glaciaire. Les seuls survivants de la planète sont les habitants du Transperceneige, un train qui voyage autour de la Terre, propulsé par un moteur à mouvement perpétuel. Un système de castes règne au sein du train, mais la révolte gronde.

Après la traque d'un monstre humain (un tueur en série) dans le fabuleux thriller Memories of Murder et un affrontement avec un monstre sous sa forme purement physique comme biologique dans The Host, en passant par le duel psychologique tordu entre une mère et son fils dans Mother, cette fois Bong Joon-Ho s'attelle à confronter un nouveau groupe d'individus face à un monstre mécanique. Cela fait déjà un moment que le réalisateur coréen végétait ce projet d'adaptation ; cette longue attente a fini par prendre fin et en valait la peine puisque Bong Joon-Ho met la main sur un budget confortable avoisinant les 40 millions de dollars pour mener à bien cet ambitieux projet et s'offre même un casting international. La bande-dessinée écrite par Jacques Lob et illustrée par Jean-Marc Rochette en 1982, puis reprise par le scénariste Benjamin Legrand à partir de 1999, possédait à l'origine quelques similitudes assez troublantes avec les romans de GJ Arnaud, La compagnie des glaces. Ainsi entre la bande-dessinée du Transperceneige et les romans de GJ Arnaud (constitués de 98 épisodes commencés en 1980), on retrouve un univers tournant autour d'une ère glaciaire, avec un aspect « ferroviaire » - un train dans un cas, une compagnie de l'autre - et un peuple pris sous le régime d'une dictature. N'ayant pas lu les oeuvres concernées je n'irai pas plus loin dans les comparaisons, mais cela demeure troublant. Par conséquent, le Snowpiercer de Bong Joon-Ho peut donner l'impression de s'inspirer aussi de cette série de romans (il faut bien une compagnie ferroviaire pour entretenir le chemin de fer, non ?). Reste que sur le fond cette oeuvre cinématographique est propre à son réalisateur (cela même s'il s'est associé pour mener à bien ce projet à Park Chan-Wook, ici scénariste et producteur) : on retrouve un mélange de ton oscillant entre drame et humour et un portrait de petites gens en proie avec un système social apparaissant comme ridicule et fragile. En fait, Bong Joon-Ho semble beau mélanger les genres, la patte, le style et certaines thématiques demeurent. Et c'est justement ce qui constitue la force principale du réalisateur. Certes le "bestiaire" avec certains personnages complètement farfelus n'est pas sans évoquer un esprit « Terry Guilliam » (John Hurt qui incarne un personnage nommé Gilliam : clin d'oeil ?), mais il apparaît indéniable que la patte de celui qui a signé le fabuleux Memories of Murder saute aux yeux.

Snowpiercer Tilda Swinton

Remarquablement mis en image, Bong Joon-Ho captive notre esprit durant 2 heures et nous fait gravir via un train la hiérarchie sociale d'un microcosme social, confronte cette société dans son esprit le plus primitif, et remplit ses wagons de métaphores, même si narrativement on peut s'interroger sur le côté pratique de la construction du Train. En effet, il n'y en a pas, le Train en question étant au final plus une symbolique qu'autre chose. Mais peu importe, puisque l'art aussi de Bong Joon-Ho est d'apporter aussi assez de rebondissements et de semer suffisemment de graines pour que le spectateur regarde là ou il souhaite et apporte surtout réflexion à certains endroits précis du film. Bref, c'est habile, c'est subtile, on est face à un vrai conteur d'histoire qui sait ce qu'il veut.

Le casting est lui aussi fabuleux avec en premier lieu un Chris Evans complètement méconnaissable et aux antipodes de son image du Captain America ; aminci, barbu, sale, l'acteur se révèle particulièrement subtile dans son jeu avec, il faut le dire, pour chance de profiter d'un personnage plutôt bien écrit. A ses côtés Jamie Bell, Octavia Spencer, Kang-Ho Song (un habitué du réalisateur) et John Hurt ne déméritent pas, même si c'est bien Tilda Swinton qui marquera les esprits par la démesure et la froideur de son personnage fourbe et décalé.

Snowpiercer, Le Transperceneige est donc indéniablement une pièce maitresse, une réussite à ajouter dans la filmographie de Bong Joon-Ho. Son succès actuel en Corée devrait – on l'epère – se confirmer un peu partout dans le monde.

(Avis de Richard B)

Auteur : Jonathan C.
Publié le lundi 9 septembre 2013 à 13h58

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    La première version du Transperceneige a été écrite pour le dessinateur Alexis en 1976 soit 4 ans avant le premier tome de La compagnie des glaces.
    Paulo, le 10 septembre 2013 08h42
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    Snowpiercer constitue l'une des bonnes découvertes de ce festival. On dirait un film de S.-F. engagé un peu à la manière d'un Elyseum en encore un peu plus radical. De beaux morceaux de bravoure en perspective. J'imagine que cela va aussi relancer l'intérêt pour la bande dessinée éponyme.
    Électro, le 10 septembre 2013 11h24

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