Critique Dune [1985]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le mercredi 14 septembre 2005 à 10h09

David Lynch effleure le rêve du bout des doigts.

David Lynch, Dune… A l’époque, je me rappelle avoir frémis d’impatience à l’annonce d’un tel projet. Précédemment déçu par l’annulation du projet interminable de Jodorowky, je voyais en Lynch un sauveur, un véritable Lisan Al Gaib.
Malheureusement, le résultat fut bien loin du chef d’œuvre espéré. Alors, ratage total, rêve lynchien incompris, produit commercial pompeux ? Dune est peut-être un mélange de tout cela. Je vous propose d’essayer d’y voir un peu plus clair.
Dune, la saga de Frank Herbert, est une œuvre monumentale, épique, philosophique, ésotérique, écologique, et même psychanalytique. Un véritable volcan de questions qui sont solutionnées en un seul endroit, la ‘’planète-rève’’, Arrakis. Le fait d’essayer de dégager toutes ces composantes pour en tirer un scénario compréhensible peut sembler relever d’un véritable exploit. Lynch en est d’ailleurs conscient, lui qui demande à Raffaella de Laurentiis de rallonger la durée du métrage de 2 heures. Cette doléance lui sera d’ailleurs refusée par l’inflexible productrice. Heureusement, vingt ans plus tard, Peter Jackson rencontrera plus de compréhension lors de son adaptation du chef d’œuvre de Tolkien.
David Lynch doit alors faire des choix. Dans la narration tout d’abord, avec ce pré-générique statique et anti-cinématographique. Présenté par la princesse Irulan, on y apprend l’histoire du monde de Dune, de manière concentrée, une sorte de résumé des chapitres qui composent le livre. Trop complexe pour le profane, trop succinct pour l’initié, il ne satisfait personne. Et il ne fait surtout pas ressortir les différents liens – de véritables chaînes écologiques - qui relient les mondes de Dune autour de l’axe Arrakis, et les différentes interactions – voir interdépendances - entre les ordres comme le Bene Gesserit, la Guilde et l’Empire.
De toutes façons, ce pré-générique tant décrié a le mérite d’exister et est indispensable dans la forme définitive du film. Même s’il n’est pas parfait, il tente de plonger le spectateur dans un monde onirique, relevant plus du rêve que de la sience-fiction. Je ne sais pas s’il y parvient, mais bon, l’intention était louable. Ensuite, David Lynch choisit – ou est contraint - de supprimer certains aspects du livre, comme le traité écologique, qui est réduit à de tristes symboles comme les pièges à vent. Cela explique la mise en retrait de l’écologiste impérial, Kynes, dont le rôle n’est plus primordial.
Il réduit aussi à son coté vulgaire, c'est-à-dire l’aspect matériel, la planète Arrakis et l’Epice. La planète Arrakis est, selon mon avis, plus une métaphore qu’une simple concentration de minéraux. C’est un lieu mystérieux, une sorte d’Avallon, que l’on ne peut atteindre qu’en naviguant dans le monde des rêves (les voyages de la Guilde), par une sorte de transe chamanique organisée. Malgré qu’elle soit l’axe central des mondes de Dune, elle est inaccessible par les voies normales et nécessite l’utilisation de l’Epice, une puissante drogue à la saveur changeante. Par ailleurs, l’eau de la vie en est un des ses dérivés, plus concentrée, donc plus puissante et en l’absorbant, l’individu non prêt peut subir une surdose. Bref, pour en revenir au sujet, en occultant ce profil onirique de Arrakis, qui est à mon avis son coté le plus important, David Lynch supprime une grande partie de la force de la Planète des sables, éveilleur des consciences mais aussi engin de mort, avec les verts. En résumé, une dimension de révélations élémentaires. Cependant, à sa décharge, je dois admettre qu’en si peu de temps, il lui était difficile d’expliquer cette métaphysique élaborée. Il est cependant dommageable qu’au final, avec cette simplification, les transporteurs de la Guilde soient réduits à de simples représentants d’une agence de transport. Par contre, une chose que je ne pardonne pas à Lynch c’est ce happy-end ridicule qui va complètement à l’opposé de la nature même de Arrakis. Cette pluie est une insulte à la raison d’exister des vers et des Fremens, et pose une conclusion puérile qui explose toute philosophie. Une matérialisation naïve qui rend obsolète toutes les valeurs transportées par le film.
D’autres transpositions sont cependant fortement réussies et elles donnent à Dune son fort coté ‘’lynchien’’. Ce sont les mises en avant de la pensée et du son. Dans le film, ce sont les deux forces primales de la vie, et de la puissance. Elles sont insaisissables, vivaces, et ceux qui les maîtrisent possèdent le vrai pouvoir. Le son appartient aux Atreides qui l’utilisent et vivent en harmonie avec lui. Les magnifiques décors du palais de la maison ducale font penser une caisse de résonance baroque et sophistiquée, comme si les voûtes de ces somptueuses pièces étaient les composantes d’un orgue majestueux. L’esprit, lui, en est le stade supérieur, bien contrôlé, il permet de dominer la Peur (une force bien mise en valeur lors de la rencontre avec les Bene Gesserit )– son ennemi primordial, mais de plus, avec l’aide de l’épice ou de l’eau de la vie, la force de l’esprit (la pensée) permet de voyager. Et même de se trouver en plusieurs endroits à la fois, où voyager dans le temps. Malgré l’ampleur de la tâche, on sent le réalisateur en phase avec ce sujet. On n’en attendait pas moins du réalisateur de Mulholland Drive et de Lost Highway.
De coté de l’interprétation, on frôle le presque parfait. Kyle McLachlan est génial et une véritable incarnation de Paul. Les parents, le Duc Leto (Jurgen Prochnow) et Jessica (Francesca Annis) sont habités par leur rôle. Le reste des personnages Atreides est interprété de manière magistrale par, dans le désordre, Freddie Jones (Thufir Hawat), Dean Stockwell (excellent en Dr. Yueh), Patrick Stewart (Halleck) et Alicia Witt (impressionnante en Alia, la petite sœur de Paul). Pour les Fremens, Max von Sydow est majestueux en Kynes, et Sean Young très romantique en Chani. Enfin, du coté des Harkonnen, Brad Dourif est égal à lui-même – c'est-à-dire fabuleux – en De Vries, et Kenneth McMillan très convaincant dans le rôle du Baron. Reste le cas de Sting, qui interprète de manière calamiteuse l’important personnage de Feyd-Rautha, transformant le cousin de Paul en un pantin gesticulant, grimaçant, fort en gueule et pourtant suffisamment faible pour être éliminé en cinq minute par le Kwisatz Haderach. On se demande bien pourquoi Paul en rêve si fréquemment et le considère comme une menace. Et on est bien loin du personnage du livre, qui est cruel certes, mais intelligent et manipulateur ; la némésis de Paul en quelque sorte.
Terminons cette petite analyse par le coté technique. Cette considération m’oblige à couper en fait le film en deux parties. La première, intimiste, très fournie en dialogues est d’une beauté à couper le souffle. Très doué pour la photographie, Lynch nous éblouis par la justesse de ses éclairages, ses choix de cadre, et la manière sobre et velouté dont il construit sa mise en scène, aux milieux de ces magnifiques décors. Une véritable sensation de rêve éveillé qui colle parfaitement bien au film et qui lui donne ce cachet si particulier. La deuxième partie, quand l’action rentre en jeu, est, il faut bien l’avouer, complètement ratée. La faute à des effets spéciaux qui frôlent le ridicule et un manque de maîtrise du réalisateur. David Lynch est plus à l’aise dans les scènes intimistes que dans les scènes d’action, et l’on peut s’en rendre hélas bien compte. La mise en scène manque de dynamique, de souffle épique, le montage est ridiculement sommaire, et on touche parfois le fond, comme lorsque montés sur les vers, les Fremen dirigés par Paul lancent l’attaque finale.

La conclusion de à propos du Film : Dune [1985]

Auteur Nicolas L.
54

Pour conclure, car il le faut bien, j’oserais dire que Dune est une œuvre inachevée par ce génie qu’est David Lynch. Manque de moyens, manque de temps surtout, le cinéaste tire à l’essentiel, et il se mélange parfois les pinceaux. Cependant, de temps en temps, il arrive à retirer du livre sa substantifique moelle, pour atteindre à cette occasion, de manière éphémère, les sommets de l’art. Ces moments de grâce sont hélas trop rares et des scènes d’actions mollassonnes, des effets spéciaux honteux, plus un happy-end malvenu, gâche en partie la qualité intrinsèque de l’œuvre.

On a aimé

  • Une première partie presque parfaite
  • Des décors magnifiques
  • Une ambiance parfois magique

On a moins bien aimé

  • Des scènes d’actions ratées
  • Des effets spéciaux ridicules
  • Sting
  • Une simplification obligée mais réductrice

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