Entretien avec Gilles Garnier, responsable de UbIK-Millennium
Quand une passion devient métier


Gilles Garnier est le créateur et le responsable de deux sociétés ludiques, Millennium et UbIK. J’ai donc profité de sa présence à la Gencon, et abusé un peu de sa gentilesse, pour lui demander de jouer avec moi à un petit jeu de questions-réponses. Un exercice auquel il s’est plié avec enthousiasme, en répondant volontiers à mes questions qui variaient entre l’interrogation candide et le harcèlement de geek.
Le stand UbIK sur la Gencon 2007

Bastable : Bonjour Gilles Garnier, on peut dire carrément que vous portez une double caquette, puisque vous êtes à la tête de deux sociétés, UbIK et Millennium. Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel et ludique ? Quels sont les éléments qui vous ont incité à créer ces sociétés dédiées au jeu ?
Gilles Garnier : à la base, je reste un joueur. Je suis fan de jeu de plateau et de jeu de rôle depuis l’age de 12 ans. On peut dire que je suis tombé dedans tout petit. J’ai eu une évolution professionnelle bien différente, dans le domaine boursier. J’ai vécu à l’étranger, à Tokyo. Bref, quand je suis rentré en France, je me suis retrouvé sans travail et je ne savais trop quoi faire. Comme je suis un passionné de jeux, je me suis posé la question si je ne pouvais pas construire quelque chose dans ce domaine. On parle là de la fin des années 80 et du début des années 90. J’ai donc saisi cette opportunité, tout d’abord dans la distribution, puis ensuite dans l’édition.
Bastable : UbIK et Millennium sont donc deux sociétés bien différentes. Peux-tu nous en dire plus ?
Gilles : Millennium est une société de distribution. Nous sommes le plus gros importateur de jeux américains en France. Nous distribuons également des produits anglais. Et l’on distribue également des éditeurs français dont, entre autres, Ystari, Black Book, UbIK, Matagot ou Stratagèmes. Nous avons un gros entrepôt dans la banlieue toulousaine et nous distribuons sur toute l’Europe.
UbIK est un éditeur. En fait j’ai créé UbIK, bien après Millennium, parce qu’il se trouve qu’il y avait beaucoup de jeu que j’aimais qui n’étaient pas édités en France. Je n’ai jamais compris pourquoi, mais les faits étaient là. Des jeux comme Munchkin, des jeux comme les Colocs, tous ce genres de jeux. Le marché, à l’époque, était surtout orienté système allemand avec les jeux de Wolfgang Kramer, Reiner Knizia, etc. Je n’ai rien contre le système allemand mais, et c’est un avis très personnel, je les trouve très froids. Je suis rôliste à la base, avec une éducation faite à base de jeux américains, de jeux de rôle et les produits Avalon Hill. Tu sais, les gros jeux de l’époque comme Civilization et compagnie. Donc, au moment où j’ai lancé UbIK, il n’y avait plus de jeux américains édités en français. Le marché était complètement occupé par le jeu allemand et les jeux d’auteurs français comme Bruno Faidutti et Bruno Cathala. Ce sont souvent de très bons jeux mais le jeu américain a une particularité; il est très fort au niveau du thème. C'est-à-dire que les éditeurs américains ont d’abord un thème et ils construisent une mécanique autour de celui-ci, afin de le supporter. Les jeux allemands sont en général dotés d’une mécanique très élégante, où le hasard intervient peu, et on leur plaque artificiellement un thème dessus. C’est une autre approche, je ne reproche rien. Mais mes goûts vont vers les jeux américains. Les jeux qui ont un thème fort favorisent l’immersion. Ils sont plus censés vous prendre aux tripes…
Horreur à Arkham sur la table de cuisine de Bastable

Bastable : comme Horreur à Arkham, par exemple ?
Gilles : Oui voilà, un jeu comme Horreur à Arkham… Ou un jeu comme La Fureur de Dracula. Ce sont des jeux qui ont des thèmes très forts, très puissants, avec une mécanique qui les sert complètement. C'est-à-dire que la mécanique est au service du thème. A contrario, le jeu allemand peut avoir une excellente mécanique, élégante et efficace, mais le thème (soupir), on s’en moque un peu… Cela pourrait être n’importe quoi.
Bastable : comment est donc venue cette complicité avec Fantasy Flight Games ? Car, il faut le dire, le gros de votre catalogue vient de la traduction de leurs produits.
Gilles : en fait, je connais Christian T. Petersen depuis fort longtemps, plus de dix ans. On partage la même passion pour le même type de jeux, qui sollicite grandement l’imaginaire, presque autant qu’un jeux de rôle. On est en parfait accord sur ce terrain d’activité. On travaille de concert, de manière très proche.
Bastable: alors, qu’elles sont les nouveautés que nous propose UbIk pour l’année 2007 ?
Gilles: Des nouveautés Fantasy Flight ? A la Gencon, nous n’en présentons pas mais les mois qui vont suivre vont être très riches en nouveautés. Pour Noël, il y aura déjà la sortie d’un très gros jeu sur la seconde guerre mondiale intitulé l’Aube d’acier. On va aussi sortir Warrior Knight, qui est une version retravaillée d’un grand classique de Games Workshop des années 80. C’est un jeu de conquêtes se situant à la période médiévale. Sont annoncées aussi des extensions pour World of Warcraft, Warcraft et Horreur à Arkham - avec Horreur à Dunwich. Dans les gros jeux, on va sortir aussi Britannia avant la fin de l’année.
Du coté des autres jeux, autres que ceux de Fantasy, on a Oui, Seigneur des Ténèbres qui est un petit jeu qui sort à la mi-juin. Comme je t’ai expliqué le principe (ndt : Gilles m’a cordialement délivré, en compagnie de Pascal Bernard, une petite séance explicative, avec les modèles présentés en avant-première sur le stand), c’est un jeu du style ‘’Il était une fois’’. En fait, le jeu se situe à la fin de l’histoire. Comme dans tous les contes de fées, le Bien a gagné, les paladins sont victorieux après avoir surmontés maints périls, le Lumière est victorieuse. Donc, les méchants rentrent chez eux et ils vont devoir expliquer à leur seigneur et maître, le Seigneur des Ténèbres, pourquoi, encore une fois, ils ont foiré la mission excessivement simple qui leur était confiée. Les joueurs doivent se justifier auprès de leur maître en rejetant la faute sur leurs compagnons. C’est un jeu très sympa et très second degré.
Nous allons sortir un jeu de plateau basé sur le même univers, avec le même esprit. Il se nomme Kragmortha, qui est l’endroit où vivent les serviteurs du Mal et leur seigneur qui s’appelle Rigor Mortis. C’est un petit univers très marrant créé par des Italiens. Ensuite, il y a le jeu de rôle Anima
Kragmortha était en démo en version « big » à la Gencon 2007

Bastable : pour compléter la gamme ?
Gilles : oui, voilà, il y a toute une gamme Anima avec le jeu de cartes et le jeu à figurines. C’est vraiment une gamme à développer car elle est magnifique avec de superbes visuels. Puis, il y a le rôle Conan, le jeu de rôle… Bastable : le jeu de rôle… je saute sur l’occasion. Beaucoup de monde jouent les oiseaux de mauvais augure et annonce sa prochaine extinction. Pourtant UbIk continue d’éditer des jeux de rôle avec des gammes comme AmnesYa, Exil, etc.
Gilles : pour le moment, il y a qu’une gamme sur laquelle on gagne un peu d’argent. Sur les autres, on en perd. C’est L5A, la légende des Cinq Anneaux. Cette gamme, qui est la mieux implantée, tourne correctement et on arrive à ne pas perdre d’argent, voire en gagner un peu, ce qui est pas mal aujourd’hui dans le secteur du jeu de rôle. Quand à Conan, on verra comment il va être accueilli. J’y crois quand même un peu car l’univers est fort, et le jeu est bon. Le reste, tous les autres jeux, on perd de l’argent…
Bastable : Exil, AmnesYa, les Royaumes d'acier ?..
Gilles : oui, tous. Mais bon, on continue. Par passion, mais aussi pour que continue à vivre la création française. Si plus personne n’édite de jeu de rôle, il est condamné. Et ça, je ne le souhaite pas.
Bastable : il y a quand même une certaine volonté de créer une dynamique par ailleurs, avec de nouvelles initiatives comme la naissance de l’éditeur John Doe, par exemple…
Gilles : Oui, oui, assurément. C’est très bien, et en plus ce qu’ils font est excellent. J’aime sincèrement leurs jeux. Mais, pour être honnête, je crois que l’on se situe encore au niveau du semi-professionnel pour ces produits. Dans le domaine professionnel, nous nous sommes plus que deux car Asmodée c’est fini et Hexagonal, on n’en parle même plus. Dans le domaine de la qualité, avec 300 pages en hardcover et beaucoup de couleurs, il ne reste que 7ième Cercle et nous. J’insiste sur le fait, cependant, que ce que fait John Doe est très bien, avec beaucoup de créativité.
La gamme de JdR UbIK : Les Royaumes d’acier, Conan OGL, L5A, Exil et AmnsesYa

Bastable : et en règle général, est-ce que le milieu ludique français se porte bien ?
Gilles : il est en grande mutation. La France s’ouvre aux jeux de plateau. Un secteur dynamisé par de nombreux rôlistes qui manquent de temps. La révélation, pour nous, ce fut Munchkin. Un incroyable succès à sa sortie et qui continue. Un jeu qui dans un premier temps était réservé aux fans et aux joueurs de D&D, avec ses nombreuses références, mais qui a rapidement dépassé les frontières rôlistes pour entrer dans les secteur que je qualifierais de semi-grand-public. On assiste donc à la création d’une culture rôliste touchant même les gens qui n’y ont jamais joué. On le vérifie également avec Horreur à Arkham. Il ne faut pas se leurrer, la majorité du public qui a acheté Horreur à Arkham est composée d’anciens joueurs de l’Appel de Cthulhu.
Bastable : et qui possédait peut-être même l’ancien jeu de plateau.
Gilles (rire) : oui, peut-être, même s’il n’était guère génial. La nouvelle version a été refaite de fond en comble. C’est un jeu extraordinaire (pour la chronique SFU c’est ici) avec de grosses références rôlistes. Quand je joue avec des potes, on procède comme pour une partie de jeu de rôle. L’un d’entre nous ne joue pas, c'est-à-dire qu’il manipule les monstres, il s’occupe de tout ce qui concerne les cartes évènements. Tu sais qu’il y a pas mal de textes… On joue lumière tamisée. On joue au jeu de rôle. La seule différence c’est qu’il n’y a pas besoin de préparer quoique ce soit. Tout est déjà prêt à jouer. Cela dure trois ou quatre heures grand maximum. On peut sortir la boîte comme ça, un soir, à l’impromptu.
Bastable : contrairement à Descent, qui demande une assez longue mise en place…
Gilles : tu sais, Descent se joue aussi en trois ou quatre heures.
Bastable : la mise en place du jeu est quand même assez longue.
Gilles (apparemment pas convaincu) : oui, mais la durée d’une partie est grosso modo la même. Descent, comme Horreur à Arkham sont des jeux privilégiant une expression de son imaginaire, et c’est cela qui est important. Comme je n’ai plus le temps de jouer aux jeux de rôle, j’adore ces jeux. J’aime aussi beaucoup les jeux vidéo sur PC ou console, j’y joue souvent…
Descent, le jeu de rôle porté sur un plateau

Bastable : tu en as le temps !?
Gilles : ben non, pas trop. Un peu le soir (sourire) car je suis célibataire (ndb : oh, oh, jeune femmes ludistes, un sacré parti est libre en ce moment !). Mais même les jeux online comme WoW et consorts ne me satisfont guère longtemps. Car se retrouver le soir, tout seul devant son écran, avec sa pizza, je trouve ça un peu triste. Personnellement, au bout d’un moment, ça me lasse. J’ai besoin de jouer avec mes amis, partager des trucs, autour de jeux qui nous plaisent.
Bastable : Au sujet de La Fureur de Dracula, comment se porte le produit ?
Gilles : il marche très bien. Le public ciblé est plus large au regard de l’univers qui est celui de Bram Stoker.
Bastable : il y a le rôle du meneur de jeu.
Gilles : ah non, il n’y a pas de meneur de jeu. Un des joueurs joue Dracula et les autres les chasseurs de vampire.
Bastable : oui, c’est ça. Déformation rôliste. J’appelle ça un meneur de jeu car il y a un joueur qui interprète l’adversité et dans l’ancienne version, il se cachait même derrière un écran. C’est vrai qu’il n’est aucunement narrateur.
Gilles : il n’y a plus d’écran mais c’est un peu le même principe.
Bastable : d’ailleurs de nombreux joueurs utilisent encore un écran, car ils jugent peu pratique la manipulation des cartes géographiques.
Gilles : oui, d’ailleurs, sur Internet, des fans ont conçu des écrans que l’on peut télécharger et imprimer. Mais par rapport à l’ancien jeu, je tiens à préciser qu’il y a beaucoup d’évolution. Nous ne l’avons pas changé de fond en comble, contrairement à Horreur à Arkham, mais pas mal de chose ont été revues.
Bastable : Horreur à Arkham, ancienne version, je ne m’en souviens guère.
Gilles : c’était une sorte de jeu de l’oie amélioré. Une sorte de Talisman.
Bastable : Talisman ? Tiens, parlons-en, puisqu’il va être réédité.
Gilles : J’ai vu ça. Ils n’ont pas changé grand-chose et je trouve ça dommage. Pour le coup, cela fait vraiment années 80.
Bastable : Oui, c’est un jeu qui est de la même génération que d’autres, dont je ne connais plus l’éditeur original, qui se nommaient Le Roi Arthur et Excalibur. Ils étaient sortis en édition française sous le label Oriflam. Ces jeux ont eu un certains succès.
Gilles : oui, oui, je m’en souviens. Comme toi, je ne me souviens plus quels en étaient les éditeurs… Bastable : penses-tu que, comme Arkham et La Fureur de Dracula, ils sont susceptibles d’être réédités ?
La Fureur de Dracula, l’un des derniers nés de chez UbIK

Gilles : peut-être… (il s’accorde un moment de réflexion)… Oui, peut-être, mais à la condition d’être complètement retravaillés. Tu sais, en vingt ans, le jeu a énormément évolué. Un jeu comme Horreur à Arkham n’aurait pas pu ressortir en l’état. Les joueurs, aujourd’hui, demandent beaucoup plus de sophistication.
Bastable : bon, ceci étant dit, passons maintenant au sujet de la Gencon. C’est la deuxième année et apparemment cette fois-ci, tu as décidé de ne pas mettre en place un espace de vente, hormis en ce qui concerne les nouveautés.
Gilles : Oui, tout à fait. On s’est concentré sur les quelques produits qu’il nous tenait à cœur de présenter. Des nouveautés mais aussi nos jeux les plus porteurs.
Bastable : ça joue donc beaucoup plus sur ton stand. Dans le pur esprit convention.
Gilles : c’est tout à fait ça, c’est voulu. La Gencon, tout est dans le titre, est tout d’abord un lieu où l’on fait jouer les gens. La vente représente peu pour nous. Elle passe au second plan. On s’est surtout attaché à mettre en avant nos avant-premières comme Kragmortha et Conan. De plus, nous ne sommes pas là pour concurrencer les boutiques.
Bastable : comment perçois-tu le public ? Les visiteurs ? Je remarque une masse de core gamers, de geek et de spécialistes. Penses-tu que la manifestation peut s’ouvrir au grand public ?
Gilles : franchement ? Je pense qu’il n’y a aucune raison que cela ne puisse pas attirer le grand public. Et d’ailleurs, le processus est entamé. On voit de tout à la Gencon, du jeu de rôle au jeu de société familial. Par exemple, en démonstration, nous présentons Wings of War, ce jeu de guerre avec des petits modèles d’avions. C’est pile dans la gamme grand public, avec des règles simples.
Bastable : c’est pour cela que sont invités des sociétés comme Repos et Days of Wonder ?
Gilles : Exactement. Et n’oublions pas Asmodée, qui touche tout de même en grande partie le secteur grand public. Donc, il y en a vraiment pour tous les goûts. Pour les passionnés, Privateer est là avec ses jeux à figurines hardcore, et bien d’autres…
Bastable : par contre, je suis surpris de constater qu’il n’y a aucun stand de jeux d’Histoire à figurines.
Gilles : effectivement. Il n’y en a pas car personne n’en sort. Soyons clairs. Il n’y a aucun acteur majeur sur le marché.
Bastable : il y a pourtant des boutiques de vente de figurines de jeu d’Histoire.
Gilles : oui, mais en France il n’y a aucun éditeur. Il n’y a que des éditeurs anglais ou australiens.
Bastable : pourquoi pas UbIK alors ?
Gilles (rire) : non, non, le marché est vraiment trop petit. Mais on va attaquer ce marché de manière détournée avec l’Aube d’Acier, qui est une traduction française de Tide of Iron (ndb : wouaouh, un extraordinaire wargame de Fantasy Flight Games, presque envie de sauter au coup de monsieur Garnier, pour le coup). C’est un jeu avec 240 figurines, aux règles accessibles, mais qui s’adressent avant tout aux passionnés de la seconde guerre mondiale. Un produit intermédiaire entre le jeu de plateau et le wargame, et qui est à même de plaire aux joueurs de jeu d’Histoire à figurines.
La version proto de Tide of Iron à la Gencon US 2006, les pions seront remplacés par des figurines (photo Boardgamegeek)

Bastable : ça, c’est une excellente nouvelle. Car je suis un ancien joueur de jeu d’Histoire à figurines, un hobby aussi « chronophage » que le jeu de rôle et aujourd’hui je ne retrouve pas dans le jeu grand public cet aspect réaliste. Notamment dans les produits comme Axis & Allies ou Memoir 44.
Gilles : c’est certain. Ce sont des jeux qui ne peuvent satisfaire pleinement le passionné. Avec l’Aube d’Acier, je pense sincèrement que tu retrouveras des sensations de jeu d’Histoire. Pour te donner une idée, ce jeu se situe à mi-chemin entre Memoir 44 et ASL (ndb : Advanced Squad Leader, le must dans le secteur du wargame sérieux).
Bastable : Carrément ?
Gilles : oui, car déjà, tu joue à l’échelle du Squad (ndb : le peloton d’infanterie) et de l’escadron pour les blindés. C’est un jeu tactique, sérieux, mais avec des règles infiniment plus accessibles qu’ASL. Les parties durent entre deux et trois heures. C’est un bon compromis, je trouve. Maintenant, je crois que Memoir 44 est un bon produit, mais pour moi, comme pour toi je vois, c’est un peu trop léger.
Bastable : cela finalement, mis à part Wings of War qui est quand même particulier, votre premier pas dans l’univers du wargame…
Gilles : oui, tout à fait. Mais ne prononce pas le mot wargame ou tu vas faire fuir les gens (rire). Je préfère le terme boardgame historique.
Bastable : et si je te dis « jeu de space opera de Fantasy Flight Games » (ndb : je parle bien entendu du fantastique Twilight Imperium)? Tu réponds quoi ?
Gilles : éhhhh oui ! On veut le faire et l’on n’est pas les seuls, un éditeur allemand également. Le problème, c’est que lorsque FFG l’a créé il n’avait pas prévu que le produit aurait un tel succès, et qu’il se vendrait à travers le monde. Et donc, qu’il y aurait plein de partenaires étrangers qui seraient intéressés pour le traduire. Donc, toute la PAO, tous les aspects du jeu ont été créés pour une version US. Il est impossible de l’éditer à l’étranger en l’état. Il est donc nécessaire de le refaire entièrement, de manière à ce qu’il soit portable dans d’autres langues. C’est un boulot titanesque car c’est un jeu énorme. On verra, on en parle. J’en ai discuté encore dernièrement avec Christian Petersen. Bon… cela risque de se faire. (ndb : chouuuueette !)
Twilight Imperium 3 à la convention Origin 2005 (photo Boardgamegeek)

Bastable : concernant les produits FFG, c’est eux qui s’occupent de la fabrication ?
Gilles : bonne question. Nous sommes chargé de la traduction et de l’adaptation en français. FFG reste maître d’œuvre pour la fabrication. Nous restons totalement tributaire de FFG
Bastable : donc, on peut dire aux internautes enthousiastes qui se manifestent dans votre forum pour un non respect des délais que vous n’y êtes pour rien.
Gilles (rire) : c’est notre faute sur certains jeux, je l’avoue. Mais sur les jeux Fantasy Flight, cela ne l’est pas. On fait la traduction, la PAO, mais après la suite n’est plus dans nos mains. On subit. Si cela met trois mois ou six mois, l’on n’y peut rien. Le pire a été pour Descent. Nous avions envoyé les fichiers en février, le jeu est sorti en novembre !
Bastable : beaucoup de personnes doivent se poser la question. Tu travailles avec quel nombre de collaborateurs ?
Gilles : neuf personnes pour UbIK et Millennium.
Bastable : tous travaillent à la fois dans les deux sociétés ?
Gilles : non. La majeure partie des personnes travaille sur Millennium. Sur UbIK, on externalise beaucoup de choses. Nous avons un directeur de publication, un traducteur, ensuite tout ce qui est studio de création graphique, c’est notre partenaire espagnol Edge Studio qui s’en occupe. Ce sont quinze personnes qui travaillent à Séville sur la PAO, la création graphique. On partage les frais du studio. On fait aussi appel à de nombreux free lance. Par exemple, la traduction des jeux de rôle est confiée à nos amis Sandy Julien, Dominique Lacrouts, Jérôme Vessière, qui s’occupent aussi de la gamme Donjons & Dragons… J’en oublie. UbIK, en France, c’est un peu le centre de commande de tout cela, avec le coté administratif et développement de la stratégie commerciale. De toutes façon, nous serions bien incapables d’atteindre la qualité de ce que fait Edge Studio dans le domaine du design. Ils sont fantastiques.
Bastable : mieux faut utiliser les compétences de chacun, là où elles sont…
Gilles : Exactement.
Bastable : et si devais tirer un bilan de ton expérience ?
Gilles : franchement, je suis content. Je m’éclate dans ce métier, je m’y retrouve complètement. Le partenariat avec Fantasy Flight est vraiment génial. Nous développons des jeux qui nous plaisent. Et cela c’est fondamental. Et je te le dis de suite, tu ne me verras jamais rentrer dans le mass market.
Bastable : j’allais justement y venir.
Gilles : le seul de nos jeux qui est entré dans ce secteur, et sans que l’on y soit pour quoi que ce soit, c’est World of Warcraft. En raison d’un partenariat avec Blizzard. On vend une partie de notre production à Blizzard et eux, après, ils le distribuent où ils veulent. Donc, le produit était en FNAC car il y avait un Blizzard’s Corner où ils vendaient leurs produits. Mais autrement, non. Jamais. Vraiment jamais. Mais attention, je ne dis pas que l’on en livrera pas à la FNAC ou à Amazon si cela les intéresse, dans le middle market, comme on dit…
World of Warcraft l’un des gros success des editions ubIK

Bastable : mais jamais à JouéClub, La Récré ?..
Gilles : si JouéClub se met à faire de la démo, commence à s’adresser à un public plus adulte, pourquoi pas. Mais aujourd’hui, non. Ils n’ont pas les structures et, soyons clairs, ils ne savent pas vendre de jeu.
Bastable : mais un jeu comme WoW se vend tout seul.
Gilles : oui, c’est vrai. L’année prochaine, nous allons sortir Starcraft et un jeu d’aventure sur World of Warcraft qui se situe dans le style Runebound, ils entrent aussi dans cette catégorie. Bastable : mais avec le look qu’il a, je suis sûr que si tu mets des Descent à la Récré, tu les vends.
Gilles : oui, oui. Mais il faudrait pour cela que nous sachions le faire, et que nous en ayons l’envie. Il n’y a qu’un seul acteur en France capable de faire cela, c’est Asmodée. Ils savent le faire. Ils ont un pied dans les deux domaines, ils sont capables de vendre du Jungle Speed et du Pokemon chez Carrefour et ils réussissent à éditer avec succès des jeux de gamers comme Hell Dorado. Je dis chapeau, les mecs. Ils y arrivent et c’est tant mieux. Mais bon, ils sont trente et ils ont un chiffre d’affaire qui est largement supérieur au notre. Nous, nous n’avons pas envie de faire autre chose que les jeux que l’on aime. La boîte tourne, on est correctement payé chez nous et on s’amuse beaucoup. On n’a pas envie de faire du volume pour faire du volume.
Bastable : et bien merci Gilles et bonne continuation.
Gilles : merci à toi.

Auteur : Nicolas L.
Publié le vendredi 1 juin 2007 à 23h16

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    Dakini Maat SR (Sylvie R.), le 2 octobre 2012 23h02

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