Peter Jackson - Acte III
Edito écrit par Vincent L. le vendredi 15 janvier 2010 à 00h00
Acte I : du cinéma bis bien crado
Scène 01 : Au milieu des années 80, un inconnu néo-zélandais présente au public un petit film d'horreur burlesque où le gore contoie des gags d'un relatif mauvais goût. Le film, réalisé pour moins de 11 000€ dollars - soit l'équivalent du récent Paranormal Activity - tourné pendant quatre ans uniquement sur des week-ends et mettant en scène les potes du réalisateur, fait le tour du monde, devenant presque instantanément un film culte dans le coeur des amateurs de cinéma bis et permettant à un futur grand nom du cinéma de se faire connaître et de réunir suffisamment d'argent pour pouvoir recommencer. Ce film, c'est Bad Taste (1985), son réalisateur n'est autre que Peter Jackson.
Scène 02 : Jackson entre immédiatement au panthéon des rois de la série B grand-guigolesques, aux côtés de Sam Raimi qui sortait, à la même époque, son second Evil Dead. La sortie de son deuxième long-métrange, en 1991, confirme à la fois le bien que tous les geeks pensaient de lui, mais également l'ignorance et le dédain des "vrais" cinéastes à son égard. Les Feebles, transposition trash du Muppet Show, fait preuve d'un mauvais goût assumé qui fait hurler de rire les fans de séries B (et Z) aux quatre coins du monde. L'essai de Bad Taste est transformé, le nom de Peter Jackson commence à être connu dans certains milieu, associé à deux oeuvres aussi bis que cultes.
Scène 03 : BrainDead (1993) marque à la fois la consécration de Peter Jackson, mais également l'aboutissement de son travail sur le cinéma d'horreur. Mais si, à l'époque, on ne voyait en lui qu'un réalisateur fun et efficace, il était pourtant impossible d'imaginer qu'il serait, dix ans plus tard, l'un des futurs rois d'Hollywood. Il faut dire que malgré tout le potentiel cultissime de ses trois premiers longs-métrages, l'époque faisait que les réalisateurs de cinéma de genre restaient indéfectiblement cantonné à un même style cinématographique, par volonté ou simplement parce qu'ils ne réussissaient pas à monter d'autres projets (voir les cas de John Carpenter, Wes Craven ou Tobe Hooper).
Entracte
Cependant, contre toute attente, celui qui était alors reconnu comme le pape du cinéma gore se lance, en 1994, dans la réalisation d'un drame intimiste adapté d'un fait divers sordide. Créatures célestes est présenté au festival de Venise - où il obtient un Lion d'Argent - et est nommé à l'Oscar du meilleur scénario. Drame poignant possédant nombre d'aspects oniriques et poétiques, Créatures célestes lance Peter Jackson dans le cours des grands, celle du cinéma dit "honorable", et prouve que l'homme est capable de dépasser l'image que l'industrie cinématographique se fait de lui en s'imposant comme un dramaturge posé et accompli. Créatures célestes ferme une page du cinéma de Jackson et en ouvre une nouvelle.
Acte II : du cinéma friqué et des projets ambitieux
Scène 01 : Peter Jackson, qui a monté sa société d'effets spéciaux en 1993, se lance dans le projet Fantômes contre Fantômes, mettant ainsi un pied dans le cinéma hollywoodien, parrainé par le bankable Robert Zemeckis et avec pour la première fois en tête d'affiche un acteur connu : Michael J. Fox. En transportant son tournage en Nouvelle Zélande pour faire baisser les coûts, Jackson garde le contrôle sur son film. Si celui-ci ne fonctionne pas au box-office US, le résultat final conforte pourtant quelques majors dans les potentialités du bonhomme, celles-ci lui proposant deux remakes (la Planète des Singes et King Kong) et une adaptation (le Seigneur des Anneaux).
Scène 02 : L'échec de Fantômes contre Fantômes fait que le projet d'adaptation du le Seigneur des Anneaux est repoussé à une date indéterminée. Loin de se décourager, Jackson continue à travailler dessus et à peaufiner son script, réussissant à convaincre Miramax de le laisser faire trois films au lieu du long-métrage unique initialement prévu. Réussissant à imposer ses choix artistiques (pas de Sean Connery en Gandalf, pas de Mel Gibson en Aragorn, tournage en Nouvelle-Zélande, effets spéciaux faits par sa compagnie), il réalise sa trilogie et la sort en 2001, 2002 et 2003 dans le monde entier. Le succès est au rendez-vous, Peter Jackson passe, en moins de dix ans, de pape de la série B à roi d'Hollywwod.
Scène 03 : L'occasion est trop belle ; après le succès planétaire de l'adaptation de Tolkien, les financiers lui ouvrent grand les bras. Il peut faire ce qu'il veut, avec le budget qu'il souhaite et les acteurs qui lui conviennent. Pour ce geek accompli qui avait réalisé à neuf ans un mini-remake de King Kong à la Super 8, le rêve est à portée de main. Armé d'un budget de 200 millions de dollars, il met en scène un remake luxieux du chef d'oeuvre de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. Le succès est moins important que prévu - certain n'hésitant pas à parler d'échec financier au vu du ratio budget investi/bénéfices retirés - mais qu'importe, pour Jackson, le film est l'accomplissement d'un rêve de gosse. Une nouvelle page de son cinéma se ferme.
Entracte
Le 27 janvier prochain sortira le nouveau film de Peter Jackson, The Lovely Bones, adaptation de La Nostalgie de l'ange d'Alice Sebold. Nous n'avons pas encore vu le film, mais il suffit d'en voir les quelques minutes de bande-annonce pour y retrouver l'esprit et l'atmosphère onirique de Créatures célestes ; Le thème y est d'ailleurs quelque peu similaire en ce qu'il s'appuie également sur un crime sordide. A y réfléchir, d'ailleurs, ce nouveau long-métrage trouve parfaitement sa place dans la filmographie aussi écclectique que cohérente de Jackson. En effet, là où Créatures célestes refermait la page cinéma bis pour ouvrir celle des projets ambitieux, il semblerait que The Lovely Bones puisse fermer la page du cinéma friqué pour celle de...
Acte III: ???
Actuellement rattaché au projet Tintin avec Steven Spielberg, Peter Jackson semble désormais s'orienter vers le numérique et la motion-capture. Un choix artistique déjà effectué par son comparse Robert Zemeckis depuis Le Pôle Express (2004), et ayant trouvé un aboutissement technologique avec le récent Avatar. Mais là où le cinéma de Zemeckis a clairement trouvé ses limites, il n'est pas interdit d'espérer que Jackson puisse réussir à se renouveller une troisième fois. Après tout, n'est ce pas le propre des réalisateurs de génie de savoir rénoncer à ce qu'ils maîtrisent pour se diriger vers des sentiers inconnus ? Trop peu ont réussi à se renouveller, les génies d'hier faisant les bons faiseurs d'aujourd'hui. Peter Jackson y est arrivé une fois, la question est, réussira t-il a renouveller l'exploit ?