Critique The Sprawl [2017]
Avis critique rédigé par Vincent L. le lundi 5 février 2018 à 09h00
Blade Runner...
Petite production indépendante venue des Etats-Unis, The Sprawl a eu la chance de bénéficier d'une version française grâce à un financement participatif réussi l'an passé. Cette sortie, nous ne la devons pas à un "gros éditeur" (pour peu que ce terme soit approprié au marché français) mais à une toute petite équipe de passionnés : Khelren (auteur sur le futur Berlin XVIII 4ème édition, et tête de file de ce projet), Benjamin Kouppi (Lady Rossa), Eric Nieudan (Archipels), Cédric Ferrand (Wastburg), Thomas Munier (Millevaux - La Source), Romain d'Huissier (Hexagon Universe), Monsieur le Chien (Raôul 2ème édition) et Guillaume Tavernier. Si le financement a débloqué beaucoup de contenu original, pour l'heure, seule la traduction du livre de base est disponible, au format numérique et au format papier (en Print on Demand sur Lulu, ainsi que dans quelques boutiques). Et c'est précisément à ce livre que nous allons nous intéresser aujourd'hui.
Le jeu est édité sous un format 15x23 (couverture souple ou rigide au choix) de 265 pages noir et blanc. Si vous avez quelques réticences avec le Print on Demand, rassurez-vous, le livre est d'excellente facture. Les teintes de la couverture font parfaitement ressortir la magnifique illustration de Guillaume Tavernier, et les pages intérieures sont épaisses et agréables au toucher. En terme de maquette, c'est simple et sans fioriture : pas de quoi crier au génie, mais la lecture n'est jamais génée. On reste en revanche beaucoup plus circonspect vis-à-vis des illustrations intérieures signées Monsieur le Chien : d'une part leur style s'avère bien fade en comparaison de ce qu'inspire la superbe couverture (mais ceci n'est peut-être qu'une question de goût), d'autre part, elles sont très faibles en terme d'inspiration (pour beaucoup d'entre elles, le rapport avec le cyberpunk est, au mieux, très lointain). Ces détails cosmétiques étant posés, voyons ce que The Sprawl à dans le ventre !
Illustration par Monsieur Le Chien
The Sprawl est un jeu Propulsé à l'Apocalypse, c'est à dire qu'il fonctionne avec système de jeu d'Apocalypse World (de D. Vincent Baker). Si les connaisseurs comprennent d'ores et déjà bien ce que cela signifie, la mention peut sembler quelque peu obscure aux néophytes. Expliquons donc un peu, pour commencer, ce que signifie être "Propulsé à l'Apocalypse". Dans la majorité des jeux de rôle, le livre de base va fournir deux éléments de règles majeurs : un univers établi dans lequel faire jouer et un système de résolution pour gérer les actions des personnages. Un jeu Propulsé à l'Apocalypse ne va pas proposer d'univers établi de manière fixe, il va fournir aux participants (meneur de jeu et joueurs) des outils pour qu'ils puissent se créer le leur. The Sprawl s'inscrit donc dans un cadre cyberpunk (ça, c'est le pitch du jeu auquel on ne peut pas déroger) dont les détails seront définis collectivement par les participants au moment de la création de personnage.
Concrètement, comme est-ce que ça se passe ? The Sprawl nous invite à jouer des agents travaillant pour des mégacorporations dans un univers cyberpunk. On va donc, au départ, définir l'univers du jeu en répondant à un rapide questionnaire. Une fois cela fait, chaque participant va créer une mégacorporation qui va être intégrée au monde. Les bases étant désormais posées, les joueurs vont pouvoir ensuite créer leurs personnages et commencer à détailler leur background en racontant l'une des missions qu'ils ont effectué pour le compte d'une de ces mégacorporations. Et voilà, très rapidement (en une petite demi-heure), le contexte a été défini par les participants et les premières parties peuvent commencer. On retrouve dans The Sprawl ce qui fait la force des jeux Propulsé à l'Apocalypse : une méthode pour jouer sans préparation du meneur de jeu, une façon de cadrer les parties et les idées pour que les histoires racontées aient du sens et de la profondeur, ainsi qu'un renouvellement perpétuel du jeu permettant de l'utiliser sur le long-terme.
Illustration par Monsieur Le Chien
On regrettera toutefois que les aides de jeu permettant de définir l'univers de jeu soient à ce point légères. Le questionnaire permettant de définir l'univers est minimaliste, et il n'y a pour ainsi dire presque rien pour guider les participants lorsqu'ils doivent créer leurs mégacorporations (un exemple de setting n'aurait pas été de trop). Si les familiers du genre cyperpunk pourront faire avec le peu qui est proposé, celles et ceux qui ne sont pas coutumier de ce genre d'univers risquent de galérer un peu plus. Ce n'est pas à proprement parler rédhibitoire, mais on aurait tout de même aimé que le livre de base nous accompagne plus dans cette phase cruciale (qui définit tout de même l'ensemble du cadre de jeu pour toutes les parties à venir). Il appartient donc au meneur de jeu d'aider les joueurs et de leur insuffler de l'inspiration. En l'état, The Sprawl n'est donc pas d'un accès facile pour celles et ceux qui ne sont pas déjà familier avec le cyberpunk.
Une fois les bases de l'univers posées, on entre dans le coeur du jeu. The Sprawl est ce que l'on appelle un "jeu à missions". Les Personnages-Joueurs vont ainsi être embauchés par une mégacorporation pour remplir une tâche bien définie. Système Apocalyse oblige, le livre de base fournit des outils et des procédures que le meneur de jeu va pouvoir utiliser pour créer et rythmer ses scénarios. Ici, cela passe par des "phases" qui vont structurer les aventures (qui vont du recrutement aux conséquences du job, en passant par les phases d'enquête, d'action ou de paiement). Les règles qui gèrent toute cette partie sont bien pensées et très correctement présentées : les conseils sont nombreux, les exemples sont pertinents et il est au final aisé pour d'improviser une mission dans sa globalité. A ce niveau, The Sprawl s'impose clairement comme un jeu permettant d'apprivoiser de façon simple le paradigme d'Apocalypse World.
Illustration par Guillaume Tavernier
Ce qui surprend le plus dans The Sprawl, finalement, c'est la grande richesse que lui confère ses mécaniques. En effet, si son statut de "jeu à missions" pouvait a priori faire penser qu'il était destiné à des parties en one-shot, on s'aperçoit rapidement que c'est dans un format "campagne" qu'il acquière toute sa richesse. L'importance donnée par les règles aux conséquences des missions fait que, très rapidement, The Sprawl va se doter d'une dimension politique qu'on ne lui soupçonnait pas au premier abord. Les Personnages-Joueurs vont ainsi entrer de plein pied dans les conflits qui opposent les mégacorporations de leur univers, et ils ne pourront pas rester neutres bien longtemps. Sur la durée, The Sprawl se construit véritablement comme une série télévisée : un premier scénario (le pilote) qui pose l'univers, quelques épisodes indépendants pour continuer à développer ces bases, et puis on entre dans le feuilleton pur et dur où chaque évènement va influencer une trame principale qui va en s'enrichissant.
C'est à ce moment, aux alentours des cinq parties, que le jeu acquière véritablement toute sa profondeur : The Sprawl est hyper tendu, et la menace qui pèse sur les personnages y est réelle et tangible. Le système de règles proposé est totalement orienté dans cette optique. D'une part, le système de résolution d'Apocalypse World est propice aux complications qui vont donner du grain à moudre aux joueurs (rappelons qu'il ne se base pas sur un dichotomie réussite/échec mais sur des nuances de réussite partielle ou d'échecs avec complications). D'autre part, les mécaniques sont mortelles et le moindre faux pas peut signifier la mort du personnages (après quelques scénarios, quand on a commencé à s'y attacher, les missions dangereuses prennent une autre envergure). Enfin, le jeu s'appuie sur une idée géniale, celle dite du Compte à Rebours qui représente l'envie qu'ont les mégacorpos de se débarasser des personnages. Au final, si The Sprawl n'est pas un jeu pour faire des campagnes au long-court, il s'avère idéal pour jouer entre dix et douze scénarios bien tendus.
La conclusion de Vincent L. à propos du Jeu de rôle : The Sprawl [2017]
Cela faisait très longtemps qu'un jeu cyberpunk ne m'avait pas autant enthousiasmé que The Sprawl : l'adaptation du système d'Apocalypse World est excellente, les mécaniques sont très bien pensées, les conseils s'avèrent la plupart du temps utiles et pertinents, et le format de jeu idéal (une petite campagne d'une douzaine de séance) le rend très accessible. En l'état, le livre de base du jeu souffre cependant de quelques défauts qui le rendent difficile d'accès à celles et ceux qui ne sont pas bien familiarisés avec le genre cyberpunk. Espérons que de futures publications corrigent le tir, car en l'état The Sprawl s'avère malgré tout être l'un des meilleurs jeux cyberpunk disponible sur le marché, ainsi qu'un des meilleurs hacks pour découvrir le système Apocalypse World, il serait donc dommage de passer à côté !
On a aimé
- Une excellente adaptation du système Apocalypse,
- Et même plus : une bonne manière de découvrir le système Apocalypse,
- Des mécaniques qui renforcent la tension et le suspens,
- Beaucoup de conseils et d'outils pertinents pour le MJ,
- Un jeu idéalement dosé pour de petites campagnes.
On a moins bien aimé
- Manque d'aide pour accompagner les joueurs,
- Un exemple de setting n'aurait pas été de trop,
- Les illustrations intérieures sont peu inspirantes.
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