Critique Bimbo [2014]
Avis critique rédigé par Vincent L. le mercredi 19 novembre 2014 à 17h30
Dieu reconnaîtra les seins...
De prime abord, il est difficile de bien saisir la place de Bimbo dans le catalogue des Editions Sans Détour. En effet, l'éditeur est surtout connu pour ses publications sérieuses et matures (L'appel de Cthulhu 6ème édition, mais également La Brigade Chimérique ou Les Lames du Cardinal) qui tendent principalement à se destiner à un public adulte, là où Bimbo ressemblait à une plaisanterie potache tout droit issue de l'esprit d'un adolescent pervers. Pourtant, après quelques parties, il faut se rendre à l'évidence : Bimbo vaut bien plus que son titre racoleur qui sous-entendait un jeu "facile". Loin de là, Bimbo est un produit extrêmement bien construit, très novateur sur nombre de points, qui propose une passerelle efficace entre les mécaniques formelles du jeu de plateau et l'aspect narratif du jeu de rôle, bref, qui tend à parfaitement s'intégrer dans la politique éditoriale résolument "adulte" des Editions Sans Détour.
On notera d'ailleurs que l'éditeur semble vouloir décloisonner le jeu de rôle pour proposer des produits hybrides qui vont chercher l'efficacité de leurs mécaniques de jeu dans divers médias. Les Lames du Cardinal était un premier pas (format boite, comme pour un jeu de plateau, avec nombre d'accessoires et des résolutions effectuées grâce à un jeu de carte), Bimbo poursuit sur cette même ligne directrice qui semble également être au coeur du futur La malédiction du Nécronomicom. Le concept s'avère intéressant, enrichissant énormément des systèmes de jeu longtemps restés immuables dans leur propension à résoudre les actions à coup de jets de dés. Effet de mode temporaire (à la manière d'Ambre ou de Château Falkenstein qui avaient, en leur temps, déjà proposé des choses originales) ou véritable évolution du média, la question se pose aujourd'hui lorsqu'apparaissent dans les magasins de tels jeux.
« Bimbo est un produit extrêmement bien construit, très novateur sur nombre de points, qui propose une passerelle efficace entre les mécaniques formelles du jeu de plateau et l'aspect narratif du jeu de rôle. »
Ceci étant dit, revenons à Bimbo, sous-titré "le jeu dont vous êtes la vedette". Le concept ici proposé est à la fois simple et malin : simple car le coeur du jeu est tout bêtement de créer un film, malin car il propose une mise en abime géniale en amenant les joueurs à incarner des actrices qui interprétent des personnages de film. Si la distinction peut paraître gadget, elle représente pourtant l'un des points forts du jeu. En effet, ce faisant, Bimbo propose un triple niveau d'interaction qui permet d'aborder différemment trois composantes de la création d'un film. En tant que joueur, vous êtes au niveau de la production et vous pouvez influencer la construction du film (faire des coupes, vous imposer à l'image,...), interpréter l'actrice permettra de se focaliser sur la mise en scène (autrement dit la façon de représenter les choses à l'image), jouer le personnage du film aura quant à lui un impact sur le scénario (histoire mais également dialogues).
Bimbo propose au joueur donc plusieurs façons non exclusives d'atteindre un objectif clair : devenir la vedette du film et, accessoirement, écraser les autres personnages. Les dialogues et le scénario permettront ainsi de créer le contexte narratif pour faire briller son personnage (être au coeur des évènements décrits, permettre la résolution d'une scène, débiter les meilleures punchlines,...) ; on est ici dans un niveau d'interprétation et de création d'histoire. La mise en scène sert quant à elle à décrire son personnage sous le jour le plus avantageux (gros plans qui éclipsent les autres actrices, travellings qui permettent d'enchainer plusieurs actions,...) ; cette partie sert à valoriser les descriptions en leur donnant un poids dans la résolution des situations. En tant que producteur, c'est enfin l'affrontement avec les autres actrices qui est directement géré (couper une scène concurrente jugée trop bonne, voler les répliques des autres joueurs, prendre la parole avant son tour,...).
Si ce traitement est incontestablement bien pensé, on pouvait toutefois craindre qu'il nuise au fondement même de Bimbo, à savoir créer un film construit et cohérent. Avoir autour de la table des joueurs qui doivent à tout prix avoir la vedette, se mettre dans la lumière ou écraser les autres, c'était a priori le meilleur moyen d'obtenir du grand n'importe quoi autour de la table (une actrice qui met un tutu et commence à danser pendant une scène de combat juste pour avoir l'attention par exemple). Sauf que le système de jeu cadre parfaitement cette derive en proposant deux gardes-fous. D'une part, il faut obligatoirement coopérer pour obtenir, à la fin de la partie, le meilleur résultat possible sous peine de perdre (en d'autres termes être la vedette d'un film qui ne sort pas ou qui n'est pas fini). D'autre part, le meneur de jeu (ici appelé "réalisateur") a tout pouvoir pour cadrer les joueurs et refuser les idées jugées mauvaises ou nuisibles au film, en d'autres termes au jeu.
Pour tout cela, Bimbo surprend dans sa façon de détourner tous les codes du jeu de rôle : les joueurs sont opposés les uns aux autres, il y a un gagnant et des perdants, le meneur de jeu peut censurer ses joueurs, les scènes peuvent être refaites, on joue avec des jetons et des cartes... Le contrepied proposé s'avère franchement rafraichissant et, s'il demande au moins une partie pour s'accomoder au concept et perdre ses habitudes de rolistes, il offre au final un résultat unique qui tranche avec le reste de la production actuelle. Pas sur, ceci dit, que Bimbo soit le jeu qui réconcilie le jeu à narration partagée avec ses détracteurs, mais pour peu que l'on souhaite tenter l'expérience, nul doute que la qualité des parties obtenues devrait malgré tout réussir convaincre (on notera toutefois que bien que fonctionnelles à plus de cinq, les parties sont tout de même plus agréable avec un nombre plus réduit de joueurs). Une fois n'est pas coutume dans ce genre de jeu, l'envisager sur le long-terme dans un mode "campagne" est également possible grâce à des règles de progressions qui donnent un intérêt à la continuité (même si, au fond, Bimbo est avant tout un concept de one-shot).
Reste une question qui pourra se poser en amont de l'achat : Bimbo est-il un jeu accessible pour les non-cinéphiles, notamment ceux qui n'ont que faire de la mise en scène ? Oui et non. En fait, il est impératif que le meneur de jeu s'intéresse un minimum aux techniques cinématographiques. S'il en est déjà familier, ce sera plus simple, mais un néophyte pourra trouver dans les livrets toutes les explications nécessaire à leur compréhension (on peut d'ailleurs y voir une clé d'entrée assez efficace dans l'univers du cinéma). Ceci dit, il ne faut clairement pas y être allergique pour que le jeu puisse vraiment fonctionner. Les joueurs, quant à eux, s'ils sont bien guidés par le meneur, n'auront pas besoin de connaissances préalables, et ce d'autant plus que les cartes d'action permettent de bien visualiser les divers éléments de mise en scène. A ce niveau, force est d'ailleurs de reconnaître que les accessoires apportent un réel plus à la dynamique des parties.
Au final, si on devait faire un reproche à Bimbo, il tiendrait avant tout sur son concept. En effet, on se trouve ici - avant toute autre considération - en présence d'un jeu de création cinématographique. La thématique de la bimbo, bien qu'intégrée au jeu (un personnage est défini par des valeurs en "Macho" et "Sexy" par exemple), peut donc être vue comme remplaçable pour créer n'importe quel type d'histoire (pas seulement du grindhouse). Certes, il fallait bien un angle d'attaque, mais celui-ci a malheureusement comme conséquence de donner, a priori, une image regressive et quelque peu puérile du jeu. Une impression qui, certes, s'envole dès la lecture des livrets, mais encore faut-il commencer la dite lecture. Ceci étant dit, reconnaissons tout de même que cela permet d'insuffler énormement d'humour dans la rédaction des règles (Bimbo est un régal à lire) et de doter le jeu d'une charte visuelle agréable, entre des jeux d'ombres minimalistes et des fausses affiches qui mettent dans l'ambiance.
La conclusion de Vincent L. à propos du Jeu de rôle : Bimbo [2014]
Ne vous laissez pas freiner par le titre quelque peu racoleur, Bimbo est bien plus qu'un simple jeu d'action à base de potiches dévêtues qui aiment les combats dans la boue. Bien au contraire, Bimbo est un vrai jeu de (et pour) cinéphile, qui utilise très habilement le meilleur du jeu de rôle à narration partagée et du jeu de plateau pour simuler la fabrication d'un film. Ici, les confrontations ne se règleront donc pas tant à coup de gros flingues que grâce à des plans larges, punchlines et autres travelling, le tout s'avérant impeccablement cadré par un système de règles qui amène les joueurs à s'opposer tout en devant coopérer pour parvenir au meilleur résultat possible. Bimbo s'impose donc instantanément comme un véritable OVNI ludique, aussi fou dans son concept qu'original et très structuré dans sa conception, bref, une indéniable réussite.
On a aimé
- Enfin un jeu de rôle pour faire du cinéma !
- Des règles cadrantes et structurées,
- Un rythme de partie soutenu,
- Détourne habillement les codes du jeu de rôle,
- Un mode "campagne" intéressante,
- Des règles rédigées avec beaucoup d'humour,
- Un visuel minimaliste plutôt sympathique
On a moins bien aimé
- Un thème finalement accessoire au regard du concept.
- Meilleur à moins de 5 joueurs.
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