Critique Le maître du Haut Château [1970]

"Monsieur R. Childan avait beau scruter son courrier avec anxiété depuis une semaine, le précieux colis en provenance des Rocheuses n'arrivait pas. Lorsqu'il ouvrit son magasin, le vendredi matin, seules quelques lettres l'attendaient à l'intérieur, devant la porte. Je connais un client qui ne va pas être content, se dit-il..."

Les Etats-Unis d'Amérique sont un souvenir. Au sortir de la guerre, l'Axe Allemagne-Italie-Japon, vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale, s'est partagé l'ancienne puissance. A l'est, l'Allemagne a commencé une purge sans précédent dans des USA fantoches; à l'ouest, les Japonais se sont rendus maîtres des peuples tout en cultivant une fascination pour les objets américains d'avant-guerre. Au centre, une zone sous contrôle où règne une atmosphère oppressante. Ailleurs, la situation est pire: l'Europe subit l'impitoyable domination aryenne et l'Afrique a subi un génocide sur une échelle continentale. Les Japonais en sont même à douter de la paix relative qu'ils entretiennent avec les Allemands à moyen terme. Ces derniers ont profité de leurs avancées technologiques pour partir sur la Lune et Mars.
A San Francisco, Baynes, un commercial suédois, doit rencontrer son homologue japonais auprès d'un responsable local de la même nationalité, Nobusuke Tagomi. La raison de cette rencontre reste un mystère mais des personnes vont s'employer à ce qu'elle n'arrive jamais. Dans cette même ville, Frank Frink, un ouvrier qui a de l'or dans les mains, décide de monter son entreprise en compagnie de son ex chef d'équipe McCarthy. Son ex-femme Juliana est partie dans les montagnes Rocheuses où elle est prof de judo. Dans la City of The Bay, l'antiquaire Childan est forcé de faire commerce avec les Japonais qui ont conquis son pays.
Et quelque part dans une forteresse, dans son haut château, un auteur a écrit un livre racontant une uchronie, une histoire décrivant la victoire des Alliés contre l'Axe. Ce livre prohibé en de nombreux endroits attire l'attention de nombreuses personnes....

Ce mois de février voit la réédition de nombreuses oeuvres de P. K. Dick, l'un des maîtres américains des faux semblants, des précognitifs, de la double réalité. Avec le recueil rassemblant ses oeuvres écrites entre 1953 et 1959 (Les Pantins Cosmiques, Les Chaînes de l'avenir, Loterie solaire, L'oeil dans le ciel, Le Profanateur, Le temps désarticulé) sort l'un des trop rares romans de l'auteur récompensés par un grand prix international, Le maître du Haut Château, aux éd. J'ai lu coll. Nouveaux Millénaires. A travers une traduction revue et corrigée, on pourra (re)découvrir l'une des oeuvres les plus obscures de P. K. Dick.

Liez ce roman. N'hésitez pas. Et relisez-le. Il en ressort que, spécialement quinze ans plus tard, il livre peu à peu ses secrets, certains insoupçonnés.
Quand on connaît l'auteur, ses oeuvres plus célèbres (Ubik, Substance Mort, Blade Runner, Siva... pour n'en citer que quelques uns), Le maître du Haut Château est vraiment particulier.
C'est la quintessence même de la mise en abyme. Après tout, ce livre parle de deux livres, le Poids de la Sauterelle et le Yi King. Ce dernier a un rôle particulier puisqu'il sert de guide à toute la population qui est sous le joug des Japonais dans ce livre. Comme si c'était le Yi King qui écrivait le scénario de leur vie, chose qui est corroborée à la fin du roman. Mais comprennent-ils quelle est leur vraie condition ?
Par le même corollaire, on obtient que c'est une histoire qui décrit une histoire qui n'est qu'une contrefaçon de l'Histoire. Un scénario à la Matrix en beaucoup plus poussé.
Ce qui fascine dans ce roman qui, rappelons-le, date de 1962, c'est la façon magistrale qu'a l'auteur de brouiller les pistes. Les personnages et héros prennent conscience que quelque chose de leur vie ne va pas en relevant petit à petit des incohérences. C'est ici grâce au Yi King et au livre des mutations qu'ils vont comprendre que leur destin est lié à une plus grande entité.

Il y a aurait beaucoup à dire sur ce roman pour peu que l'on s'y intéresse de manière moins superficielle. Le maître du Haut Château est en fait un bijou de construction.