Critique Soldat d'Aretê #2 [1992]

"Je vais prendre un nouveau départ sur ce rouleau noir en ville. Ce matin, Io m'a montré comment j'écrivais dans l'ancien et m'a expliqué quel prix il avait pour moi. Je n'ai lu que le premier et le dernier feuillet mais j'ai l'intention de lire le reste avant le coucher du soleil. Néanmoins, j'ai pour le moment l'intention d'écrire tout ce qui me sera le plus utile de savoir..."

Deuxième parchemin. Après avoir été fait prisonnier et esclave, Latro n'a toujours pas été affranchi par ses maîtres. Accompagné par Io et l'homme noir, ses fidèles compagnons mais dont il ne souvient pas chaque matin, et malgré ses qualités de soldat accompli, il va servir de jouet, manipulé par les forces surnaturelles de cette Grèce alternative. Latro devra aussi se méfier, malgré son handicap, des complots des humains, qu'ils soient politiciens ou poètes. Une seule certitude, il se dirige vers Delphes...

Soldat d'Aretê est le deuxième volet de la trilogie de Soldat des Brumes, réédité aux éd. Denoël coll. Lunes d'encre. Il reprend le même schéma de construction à savoir la perte de mémoire de Latro chaque jour, ce qui oblige ceux qui l'accompagnent, même ses plus chers amis, à lui remémorer les évènements de la veille et au-delà.

A l'instar du livre précédent, Soldat des Brumes, le lecteur trouvera ce roman assez difficile à lire et suivre du fait des nombreuses redites à chaque nouvelle aube.
Ceci dit, le mystère entourant l'identité de Latro (qui veut dire soldat) est en même temps de plus en plus fascinante. En fait, tout un tas de conjectures apparaissent alors que se multiplient les possibilités offertes par le récit du héros. On se surprend même à penser que lui-même sait parfois qui il est mais qu'il l'oublie ensuite avant de l'avoir couché sur le papier.

Ce mystère n'altère en rien le fabuleux voyage que nous décrit Gene Wolfe dans une antiquité dont les noms sont altérés. On retrouvera (facilement si l'on est fin spécialiste ou non) les villes d'Athènes, de Sparte, de Corinthe et peut-être de Megare. Le Grand Roi dont Latro semble être un sujet, du moins pour lequel il s'est battu - est-ce le moment de signaler qu'il est un mercenaire - n'est autre que le roi de Perse Xerxès 1er. Et c'est la bataille de Platée, durant les guerres médiques, qui laisse un Latro amnésique. Après les fameuses batailles de Marathon et des Thermopyles (celle des 300 Hoplites où Léonidas 1er est tué) et la défaite de la bataille de Salamine, les Perses se retirent. Pausanias, le régent du fils de Leonidas, Simonides de Céos sont par exemple mentionnés explicitement. 
Dans ce contexte, Latro évolue à la fois parmi les figures historiques et les divinités qu'il est le seul à voir, dans une sorte de brouillard, alors que de grandes batailles pour libérer les cités-états grecques du joug perse viennent de se produire. C'est une période clé où sont nées des légendes historiques. Latro n'est-il pas l'une d'entre elles ? N'est-il pas Mardonios, le bras droit et général de Xerxès 1er, laissé pour mort le crâne fracassé lors de la bataille de Platée ?
Ce n'est certainement pas par hasard si, selon Herodote, ce dernier aurait été tué par un homme appelé Aeimnestus, nom qui désigne aussi un général Platéen qui aurait combattu dans les batailles de Platée et de Marathon.