Critique Les Démons de Paris [2010]

"Sur le perron de l'Hôtel-Dieu, Pichard et Simonet ne contenaient la cohue qu'à grand-peine. Devant eux se pressaient les curieux du quartier - les badauds professionnels qu'ils connaissaient bien - auxquels s'était mêlé un étrange assortiment de belles dames dont ils ne savaient que faire..."

Joseph est promis à un futur radieux; il se prépare à la prêtrise. Il a cependant ceci de plus qui le distingue des autres séminaristes: il peut parler aux morts. En ce début de XXe siècle, Paris est la proie de terroristes anarchistes de gauche et la présidente en place a du mal à juguler la violence de ces individus méprisables. Aujourd'hui encore, ils ont de nouveau frappé et Joseph est déjà sur place pour aider et recueillir les confidences des âmes trépassées. Rompu à l’exercice depuis des années, il a en parallèle élaboré une sorte de journal et de plan grâce aux informations qu'il a recueillies. Il ne sait pas que cette fois-ci, ses investigations vont le mener à découvrir des secrets qui mettent en péril le gouvernement et la pègre locale...

Premier roman de Jean-Philippe Depotte, initialement publié aux éd. Denoël coll. Grand Public et réédité aux éd. Gallimard coll. Folio SF, les démons de Paris nous plonge au coeur de la capitale française à l'aube de la Grande Guerre et d'autres grands bouleversements politiques en Europe de l'est.

Et si le paradis, l'enfer et le purgatoire n'étaient que le pâle reflet de notre quotidien? Et si l'au-delà ressemblait à notre réalité qui ne se différenciait que par une question de distance (ou de longueur d'onde)?
Tel est le postulat de départ (aux parfums, certes infimes, de physique quantique) de ce roman qui a pour background la France d'avant guerre.
Un point de départ qui débouche sur une histoire dont se dégagent plusieurs thèmes, déjà abondamment abordés rien que dans notre genre.
Le premier est la description d'une originale vision de l'au-delà, différente de celle anthropocentriste que propose par exemple Dante. 
Le deuxième est le décryptage de l'Histoire. On peut bien entendu interpréter les évènements du passé (et de l'actualité, d'ailleurs) en fonction de ses sensibilités et parfois défendre l'indéfendable, même devant l'évidence.
Le troisième et peut-être le plus intéressant est l'opposition historique de la religion et de la science. Les plus grands scientifiques de l'Histoire ont prouvé aux sceptiques que les deux ne sont pas incompatibles. En voici une autre variation toute personnelle.

Sur la forme, Les Démons de Paris bénéficie d'une écriture soignée et d'une construction qui ménage ses effets, rebondissements et autres, et trouve son rythme au bout de quelques dizaines de pages. La foule de personnages au spectre large permettra au lecteur de quoi s'identifier à l'un au moins des protagonistes qui sont soit manichéens (les démons et les anges, mais pas comme on le pense), soit à la personnalité double ou nuancée (les héros), soit carrément antipathiques (Lénine et le Tsar entre autres). A chacun son truc.
Enfin, Jean-Philippe Depotte ménage le suspense, la chèvre et le chou: l'histoire débouchera-t-elle sur une uchronie ?