Critique Desolation Road [1989]

"Depuis trois jours le docteur Alimentado suivait l'êtrevert dans le désert. A l'invite d'un doigt fait de petits haricots articulés, il avait traversé à la voile le désert de grès rouge, le désert de pierre rouge et le désert de sable rouge sans pouvoir le rattraper. Et chaque soir, il rédigeait son journal, assis près de son feu de copeaux de bois momifié, puis le chapelune se levait, culbutante rivière de diamant satellisée, et faisait sortir l'êtrevert des profondeurs secrètes du désert..."

Le professeur Alimentado, perdu au milieu du désert, pensait sa dernière heure venue dès la dernière goutte d'eau avalée. C'était compter sans ROTECH. Dans ce petit coin de désert martien, il découvre une antenne météorologique autonome gérée par l'IA à côté de laquelle il peut enfin s'installer. Il peut prendre le temps de réfléchir à ce que l'être vert lui a dit: le voyage dans le temps est possible. Ce havre de paix est l'endroit idéal pour que le vieux physicien continue d'étudier tranquillement. Pas pour longtemps.
Un jour, il reçoit la visite de Monsieur Jericho, dont il apprend qu'il est recherché dans tout le système solaire. La visite sera en définitive permanente. Il accueille ensuite la famille Mandella, puis le clochard Rajandra Das, puis toute une multitude d'autres êtres rejetés, bannis ou désireux de s'installer à l'écart des grosses agglomérations. Desolation road est née...

Ian McDonald s'est fait connaître grâce à ce roman, récompensé par le prix Locus du premier roman en 1988. L'auteur est alors propulsé au devant de la scène littéraire grâce à un roman déjà très abouti et à l'humour grinçant. C'est le premier de ses romans sur les melting pots culturels, source inépuisable d'idées et de situations. Desolation Road est un extraordinaire premier roman.

Difficile de résumer un tel roman. D'une part parce que l'histoire se déroule sur plusieurs générations et que, à l'instar de la ville qu'elle raconte, celle-ci devient tentaculaire. Les relations entre colons se subdivisent en de multiples ramifications sociales et relationnelles; il y a des histoires de jumeaux et de triplés, de coucherie, de jalousie et d'amour...
Mais Desolation Road se singularise d'abord et surtout grâce à ses personnages. La première génération est composée généralement de parias, d'inadaptés et d'êtres abandonnés (à leur sort, la plupart du temps). En contrepartie, ils compensent par un don. Rajendra est un génie de la mécanique et des machines. Rutie Blue Mountain est une jeune fille bien moche mais capable d'attirer la beauté et de la rendre sous le coup d'une forte émotion.
Aux générations suivantes, si les gens ont appris à vivre dans la même ville, ils s'y sentent parfois à l'étroit. Alors ils s'exilent. C'est le début d’une grande période pour la ville car quelques uns de ses natifs vont devenir si importants que le rayonnement de la cité à travers eux dépassera largement le cadre de ses frontières.

D'une certaine façon, parce que l'auteur soigne aussi bien le fond que la forme, Desolation Road est la concaténation improbable des Chroniques Martiennes et des drafts riots.
A l'instar de ses futurs oeuvres, ce roman est autant une fable sociétal que science-fictionnelle.