Critique Fabula [2010]
Avis critique rédigé par Vincent L. le jeudi 28 octobre 2010 à 08h35
Une réussite en demi-teinte...
A peine sortis du carton international qu'a connu leur premier jeu, Dixit, les créatifs de Libellud remettent le couvert en nous proposant un second jeu possédant les mêmes ingrédients de fabrication : un produit accessible à tous, disposant d'une esthétique particulièrement travaillée, et apte à faire le lien entre le grand public et les gamers. Leur seconde création s'appelle donc Fabula, et se pose comme un party-game directement inspiré du désormais mythique Il était une fois. Les joueurs vont avoir à y créer une histoire en utilisant, outre leur imagination, quelques supports visuels : une illustration générale qui décrit les principaux éléments de l'histoire et des cartes imposant les accessoires nécessaires au déroulé de ce qui va être raconté. Dirigés par un conteur, les différents participants vont devoir proposer diverses méthodes pour faire avancer l'histoire, et ainsi aboutir à l'épilogue. A la fin, celui qui aura eu le plus de bonnes idées pourra conclure le conte et, ainsi, être le gagnant de la partie.
C'est sur ce principe que repose entièrement Fabula ; les connaisseurs pourront légitimement rétorquer que cela n'est pas nouveau, et que, depuis Il était une fois (qui a posé les grands principes de ce style de jeu), il a déjà été dupliqué un certain nombre de fois (Oui, Seigneur des Ténèbres ou Oui, honarable parrain sont les deux plus connus), mais la force de Fabula ne se trouve pas dans ce fond déjà bien exploité, mais au contraire sur sa forme particulièrement réussie. En effet, là où ses prédecesseurs s'appuyaient sur des formats quelque peu austères (de simples cartes aux illustrations un peu cheap), Libellud nous propose des visuels d'une qualité exceptionnelle. Chaque histoire est ainsi associée à une plaquette qui en reprend les principaux éléments, le tout mis en forme avec un talent indéniable. Fabula a vraiment de la gueule, est son esthétique irréprochable, en plus de réellement donner envie de jouer, s'avère être un excellent focus pour l'imaginaire des participants.
Pourtant, passé le plaisir visuel - et tactile - offert par le matériel, une fois le jeu commencé, le verdict tombe comme un couperet : Fabula n'est pas à la hauteur de son matériel, et s'avère être d'un intérêt limité. En effet, le jeu a été conçu de manière extrêmement directive, et, dans un groupe de joueur fixe (c'est à dire dont la composition ne varie pas d'une partie à l'autre), chaque histoire ne peut être jouée qu'une seule fois (à moins que les joueurs ne fassent l'effort de se renouveller, mais nul doute qu'il passeront à autre chose avant) ; la boite ne contenant que vingt histoires différentes, Fabula est ainsi destiné à s'éteindre une fois la dernière jouée. Il en va différemment dans un cadre associatif, où il y aura, par définition, un turn-over plus important des joueurs ; dans ce cas de figure, les compositions des tables changeant régulièrement, les histoires peuvent être rejouées, et la durée de vie du jeu s'en trouve un peu plus augmentée, sans pour autant être particulièrement élevée.
En effet, Fabula possède tous les défauts liés aux jeux narratifs : les plus timides seront lésés par rapport aux autres et ceux possédant une grande imagination écraseront toujours leurs adversaires peu coutumier de ce genre d'exercice. Il y a de plus dans Fabula un côté "jugement" lié au fait que le conteur doit approuver, ou pas, les idées proposés par les joueurs ; il est ainsi difficile, surtout quand on ne connait pas tous les participants autour de la table, d'expliquer que telle ou telle idées est mauvaise, voire ridicule. La présence de mauvais joueurs - de mauvais gagnants pour être plus précis - risque de provoquer un renfermement de certains joueurs (on est en effet plus à l'aise dans Fabula quand on est roliste et que l'on a l'habitude d'improviser et de faire jouer son imagination) et un dépérissement des parties. Le conteur est donc également investi d'un rôle d'arbitre, lequel peut être plus ou moins difficile à appliquer selon les cas et les personnalités, et peut même provoquer une baisse de l'intérêt du jeu au profit d'une politique d'entente cordiale entre les joueurs.
Enfin, il est à noter que toute l'esthétique dont dispose le jeu s'avère être très superflue, en ce qu'elle n'est pas vraiment liée aux mécaniques de jeu. Fabula est superbe, c'est un fait, et les illustrations de Mélanie Fuentes sont un vrai régal pour les yeux, mais pourquoi ? D'aucun pourront dire que l'on paye plus le matériel que le jeu, et que cela aurait pu fonctionner à l'identique pour un prix de vente moindre. Certes cela donne une personnalité au jeu, et tend ainsi à visuellement le rapprocher du jeu de rôle (le conteur à un paravent et un scénario écrit dans ses grandes lignes, les joueurs ont des personnages qui ont une représentation physique par l'intermédiaire de petites figurines cartonnées), mais il est vrai que pour les adultes (et surtout pour les gamers), Fabula aurait clairement pû fonctionner sans tout ces artifices. Cependant, avouons que le prix de vente n'étant pas très élevé (une trentaine d'euros), il est tout de même agréable de jouer avec un matériel de cette qualité.
En fait, si, pour les gamers, Fabula est loin d'être une réussite, le jeu prend une autre dimension dans un contexte bien particulier : l'initiation. En effet, là où le jeu ne sait pas convaincre autour d'une table traditionnelle, il prend toute son envergure lorsque se trouvent, autour de la table de jeu, des enfants ou des familles. Il permet ainsi un pont vers le jeu de plateau (de ceux, plus adultes et aboutis, que l'on trouve dans les boutiques spécialisées), mais également vers le jeu de rôle. A la manière des Aventures Merveilleuses (Le magicien d'OZ, Contes Ensorcelés) qu'avait édité Septième Cercle, Fabula permet d'initier les plus jeunes grâce à des mécaniques de jeux très simples, très fluides, et accessibles dès huit ans. Le jeu s'avère alors être un outil pédagogique d'un intérêt quasiment comparable à celui de Dixit, permettant de faire travailler l'imagination tout en imposant une cohérence avec l'histoire racontée. A ce niveau, Fabula est une grande réussite.
La conclusion de Vincent L. à propos du Jeu de société : Fabula [2010]
Au final, Fabula peine à véritablement convaincre tant il se trouve coincé dans les limites de son format quelque peu bâtard. Ainsi, s'il s'avère être un excellent jeu d'initiation qui trouve aisément sa place aux côtés de Dixit ou des Loups-Garous de Thiercelieux comme outil pédagogique à destination des écoles, des centres de loisir ou de celles et ceux qui initient le grand public aux jeux, il atteint cependant très vite ses limites, en terme d'intérêt, dans les mains d'un groupe de joueurs dont les membres sont "fixes". Avec ce second jeu, les créatifs de Libellud s'imposent donc comme des concepteurs intéressants, proposant au grand public des produits intelligents et accessibles aptes à faire le lien avec l'univers encore confidentiel des jeux de plateau ; même si Fabula ne transforme pas l'essai de Dixit, on a tout de même hate de voir à quoi pourra bien ressembler leur prochaine création !
Comme outil pédagogique ou pour de l'initiation : 09/10
Dans un cadre associatif : 05/10
Avec un groupe de joueur fixe : 03/10
On a aimé
- Parfaitement conçu pour de l'initiation,
- Mécanique de jeu simple et accessible,
- Esthétiquement superbe,
- Prix très raisonnable.
On a moins bien aimé
- Atteint très rapidement ses limites dans un groupe "fixe",
- Possède tous les défauts d'un jeu narratif,
- Esthétique superfétatoire.
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