Critique Autrefois les Ténèbres #1 [2005]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le mardi 20 juillet 2010 à 15h47
Entre Dieux et Sorcellerie
"Une fois encore, les rêves étaient revenus. Les vastes étendues, les histoires, les conflits de foi et de culture, tout lui apparaissait en une cascade de détails. Les glissades des chevaux sur le sol. Les poings serrés dans la boue. Les morts éparpillés sur la grève d'une mer chaude. Et comme toujours, une ancienne cité, blanc craie sous le soleil, se détachant des collines sable. Une ville sainte...Shimeh."
Achamiam est un sorcier-espion du Scolasticat du Mandat. Depuis la première apocalypse provoquée par le Non-Dieu Mog il y a deux mille ans de cela, le Mandat traque La Consulte, une cabale de magiciens qui œuvrent pour son retour. Au cœur de l'empire Nansur, fervent défenseur de la foi Inrithi, le Shriah Maithanet déclare la guerre sainte contre les Fanims, l'autre grande religion du Sud. De toutes les terres humaines des Trois Mers, les princes et les chevaliers viennent se joindre à cette entreprise guerrière. Profitant de cet appel aux armes, la famille impériale de Nansur, les Ikurei, tente d'instrumentaliser la guerre sainte pour retrouver leur empire d'antan. Pendant ce temps, dans le Nord dominé par les belliqueux Srancs, un moine mystérieux nommé Kellhus Anasurimbor s'achemine vers Shimeh, ce lieu saint que tous convoitent.
Autrefois les Ténèbres ouvre un cycle fantasy imposant écrit par le canadien Richard Scott Bakker - également auteur de Neuropath. Celui-ci se compose actuellement de trois tomes formant Le Prince du néant avec Le Guerrier prophète et Le Chant des sorciers. Cette première trilogie sera suivie d'une seconde intitulée The Aspect-Emperor et par la suite d'un autre diptyque. Autant dire que s'engager dans un tel récit peut paraître effrayant. Fleuve Noir nous propose pourtant l'œuvre d'un écrivain prometteur qu'il serait dommage de négliger. Explications.
L'ouverture de cette histoire fleuve s'étale sur un prologue d'une trentaine de pages autour du personnage d'Anasurimbor Kellhus, un moine qui descend du Nord pour aller vers la lointaine ville de Shimeh. D'emblée, l'auteur ne prend pas le temps de préparer et d'épargner le lecteur. Il le jette dans le monde d'Eärwa au milieu des Srancs, des Non-humains, des Dunyains et autres scolasticats. L'entrée en matière s'avère ardue, demandant une bonne dose de concentration pour rentrer dans l'aventure. Ce n'est qu'au bout de ce prologue et de la moitié du premier chapitre que l'histoire commence à se clarifier et les fils conducteurs à se dénouer pour apparaitre plus limpidement. On s'aperçoit vite que le récit suit, globalement, le périple de Drusas Achamiam, sans pourtant rester focalisé sur lui. En réalité, on pourra affirmer que le roman résulte de l'entrelacement de divers points de vue en prenant tour à tour en ligne de mire les personnages de Cnaïur, de Drusas, d'Esmenet, de Kellhus et ceux de la famille impériale... Le tout n'étant pas, contrairement à ce que laissait présager le prologue, d'une grande difficulté à suivre. Si difficulté il y a, elle vient de la complexité du monde mis en place par Bakker, un peu à l'instar de ce que l'on retrouve dans Le Trône de Fer.
Cependant, nous n'aurons pas à faire qu'à des jeux de trônes et de politique (même s'il y en a). Le cœur du roman exploite une idée assez peu mise en avant dans la fantasy : la religion. Dans la région des Trois Mers, deux religions s'affrontent : celle des Fanims et celle des Inrithis. En sus de cela, on trouve les scolasticats, groupes de sorciers plus ou moins puissants et très mal vus des croyants. Mais l'auteur ne s'arrête pas là puisque même à l'intérieur de ces différentes factions, des divergences et affinités se révèlent rapidement, en particulier entre les scolasticats. Celui de Drusas Achamian, Le Mandat, est par exemple considéré comme puissant mais paranoïaque du fait de sa manie de voir la seconde Apocalypse partout. On notera d'ailleurs au passage que l'emploi des annexes de fin sur les différentes factions se révèle simplement indispensable pour suivre au fur et à mesure de l'avancée du récit. Il n'y aura donc pas réellement de quête héroïque (quoique...) mais plutôt les chroniques d'une immense guerre sainte qui n'est pas sans rappeler les croisades par leur envergure et leur motivation.
L'imagination de l'auteur ne se résume pas qu'à cette orientation du récit. Il nous propose un monde finement étudié et composé avec son histoire, ses légendes, ses héros et ses fléaux. Richard Scott Bakker a surtout le don de coucher sur papier des personnages finement composés. La palme revenant à celui du moine dunyain, Anasurimbor Kellhus dont on est bien en peine de dire de quel côté il se trouve, voir même s'il appartient à un camp. Rarement un personnage n'a été si à cheval entre les notions de bien et de mal. Cette multitude de personnalités permet également de donner une variété certaine dans le récit. On navigue de l'épique à l'intime d'un chapitre à l'autre. Si l'on peut suivre l'histoire d'amour entre Esmenet et Drusas, on peut basculer sur les enjeux politiques de l'empereur ou sur la bataille que livre Conphas aux Scylvendis dans le prochain passage. Vous l'aurez d'ailleurs rapidement deviné, le ton adopté par l'écrivain s'inscrit dans le domaine de la dark fantasy, à mi-chemin entre La Compagnie noire et Le Trône de Fer.
On retrouve également un savoir-faire certain dans le questionnement vis-à-vis de la religion elle-même. L'affrontement entre des personnages païens, religieux et en dehors même de ces deux convictions (les sorciers), permet à Bakker, passionné de philosophie, de s'étendre sur la foi, les croyances et la confrontation à la réalité. Il est sûr que certains passages philosophiques pourront en rebuter quelques-uns mais ces considérations métaphysiques n'empêchent pas Autrefois les Ténèbres d'être passionnant et palpitant. Au contraire, on pourra arguer qu'elles ne le rendent que plus intelligent, plus intéressant. Par l'entremise de l'imaginaire, le canadien confronte les points de vue sans jamais clairement trancher et en laissant ce privilège à son lecteur.
Pour autant, Autrefois les Ténèbres ne compte pas que des qualités. Outre la difficulté, on regrettera certains passages trop longuets, trop ennuyeux, notamment ceux d'Esmenet qui finissent par lasser. Autre point noir, inhérent à ce genre d'entreprise, ce tome n'est qu'une mise en place pour le reste du cycle, il permet de camper les personnages, les enjeux et l'atmosphère générale. Ainsi on ne s'étonnera pas de ne pas encore assister au départ de la Guerre Sainte avant la dernière page, ni de voir arriver des actions de la fameuse Consulte dans les tous derniers instants (très réussis au demeurant). Il faut accepter d'entrer dans une aventure relativement énorme et de la poursuivre dans les tomes suivants. Une des principales raisons à cela étant que l'auteur nous livre ici son premier roman, et que pour un premier essai, c'est une sacrée réussite. Grâce au talent, à l'imagination et au style réellement étudié de Bakker, on s'engagera rapidement vers le second volume, Le Guerrier prophète. Mentionnons d'ailleurs que ce second ouvrage place, cette fois, les cartes en tête d'ouvrage, ce qui se révèle bien plus utile que de les mettre à la toute fin.
"Depuis que Mathainet avait déclaré la Guerre Sainte un an et demi plus tôt, un nombre incalculable de milliers d'hommes s'étaient rassemblés sous les murailles de Momemn. Parmi les membres bien placés des Mil Temples circulaient des rumeurs sur la consternation du Shriah. Il n'avait pas, disait-on, escompté une réponse aussi unanime à son exhortation. Il n'avait tout particulièrement pas imaginé tant d'hommes et de femmes de basse caste pussent se rallier à la Dague."
Remerciements à Amandine V. pour la relecture
La conclusion de Nicolas W. à propos du Roman : Autrefois les Ténèbres #1 [2005]
Avec Richard Scott Bakker, Fleuve Noir fait entrer sur la scène française un auteur de fantasy à surveiller de très près. Talentueux créateur de monde qui ne néglige ni la qualité de ses personnages ni de ses intrigues, l'écrivain canadien se paye le luxe également de proposer une réflexion sur la foi des plus pertinentes. Nul doute que le cycle du Prince du néant pourra prétendre à une belle place dans le Panthéon de la fantasy. Il ne reste qu'à espérer retrouver cette même qualité par la suite.
On a aimé
- Le monde présenté
- Le sujet de la guerre sainte
- Les personnages
- Anasurimbor Kellhus
- La variété des récits
- Le style de l'auteur
On a moins bien aimé
- Quelques passages d'Esmenet
- Un roman exigeant
- Des cartes en fin d'ouvrage
- Un tome d'introduction
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