Critique Cendres [2007]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le dimanche 29 novembre 2009 à 15h51
Un gout de désespoir...
" Tout le monde a oublié. Mais ces salauds-là n'ont pas tout effacé pour autant. Comme si ça les arrangeait. Comme s'ils savaient doser la souffrance, l'instiller savamment pour qu'elle nous tourmente assez sans jamais nous torturer vraiment. Un travail de sape lent, sournois, terriblement efficace. Je n'ai pas oublié le prénom que j'ai moi-même choisi. Je n'ai pas oublié le code d'identification de l'éprouvette qui m'a conçu. Je n'ai pas oublié non plus l'image de ma mère que, jour après jour, je me suis construit, depuis que j'ai compris que j'aurais pu en avoir une, une vraie, une qu'on touche, qui vous caresse, longuement, jusqu'au bout de la vie. Je me souviens de tout cela. Mais je ne sais plus rien des raisons qui m'ont amené jusqu'ici, ni ce qui a poussé ceux de l'extérieur à nous parquer comme du vulgaire bétail."
Thierry Di Rollo est un auteur français surtout connu pour ses romans très noirs parus au Bélial : La lumière des morts, La profondeur des tombes ou encore Meddik. On le connaît cependant bien moins pour ses nouvelles. C'est pourquoi les jeunes éditions ActuSF ont eu la bonne idée de sortir un petit recueil intitulé Cendres compilant 4 nouvelles pour faire découvrir cette autre facette de l'auteur.
La première nouvelle, Cendres, nous parachute dans un camp de survivants, de réfugiés abandonnés de tous. Confinés au milieu des miasmes et de la pestilence qui règnent dans cet endroit, nous suivons Renaud alors qu'un parachutage de vivres est sur le point d'arriver... Première nouvelle, premier uppercut. Sans concession, brutale, d'une noirceur assumée, Cendres plonge le lecteur dans un cauchemar éveillé qui rappelle les camps de réfugiés africains actuels. Les personnages ont perdu tout espoir alors qu'ils évoluent dans un monde qui semble les avoir oublié. Qui les enferme ? Pourquoi ? De quoi sont-ils les survivants ? Pourquoi la plupart n'ont pas de parents ? Nous n'aurons pas de réponses, et c'est surement la force du texte, celle de l'injustice profonde et de l'horreur que l'on ne peut expliquer, que l'on ne veut pas expliquer. Symbole de la solitude et de l'abjection humaine, les réfugiés de ce camp sont un écho terrible du passé comme du présent. Du pur Thierry Di Rollo.
Le clochard de Jaune Papillon est lui aussi dans l'inexplicable et l'injuste. Enlevé par deux hommes et torturé par ce qui semble être un médecin dérangé, il ne se doute pas une seconde qu'il va servir à tout autre chose que l'assouvissement de désirs sadiques... Encore une fois, l'auteur entraine le lecteur dans une courte et atroce histoire qui fait du non-dit la grande force du récit. Décrivant les rouages d'une manipulation, il met en exergue l'indifférence des hommes vis-à-vis de ces "monstres invisibles" que sont les sans-abris. Toujours aussi cruel, le récit est pourtant parcouru par une poignante émotion, celle d'un homme instrument qui se sait condamné. Certainement la meilleure nouvelle de ce court recueil
Les hommes dans le château marque le sommet de l'horreur parmi ces histoires. La jeune Blandine court à s'en faire exploser le cœur pour échapper du château, l'abject domaine du Baron et de son fils Valentin. Même le mur qui ceinture la propriété ne peut l'arrêter grâce à la corde qui y a été disposée par Paul, un des habitants de New Village qui borde le domaine de cette "haute société". Recueilli par cette âme charitable, elle va devoir faire face à ses cauchemars et comprendre toute l'horreur du jeu macabre qui se joue derrière les hautes murailles du château... Plus longue que les autres nouvelles, Les hommes dans le château nous fait pénétrer l'esprit de la jeune Blandine et par lui, la plus abjecte des réalités. Celle d'une élite qui commet les crimes les plus atroces juste pour son bon plaisir. Le point faible de cette nouvelle vient de la surenchère de Di Rollo, une surenchère qui peut paraître cette fois vaine. Malgré tout, la nouvelle ne déroge pas à la règle de l'auteur : glauque, désespérée et esquissant les travers les plus noirs tapis dans le cœur des hommes, dans ce monde, l'espoir n'a pas sa place.
Pour terminer, Quelques grains de riz ajoute une touche musicale au recueil. Thomas Lenquist vit au 23ème siècle. Il ne désire qu'une chose : mettre en image la chanson Eleanor Rigby des Beatles selon sa vision. Pour ce faire, il va devoir voyager dans le temps et retourner à Liverpool pour trouver son Eleanor Rigby. Reprenant le thème de l'impunité des riches, le texte est d'abord truffé de références aux Beatles et celui qui ne connaît pas la chanson du groupe aura bien du mal à lui trouver de l'intérêt. Reste que l'obsession maladive de Thomas, la cruauté dont il fera preuve pour accomplir son rêve et surtout la totale indifférence de l'entreprise Money Times pour ce qu'il va faire (tant qu'il paye...) sont autant d'éléments qui apportent une saveur toute particulière à cette nouvelle. Malheureusement, celle-ci restera tout de même la plus faible du recueil.
Pour finir, mentionnons la magnifique couverture-collage de Daylon qui, une fois n'est pas coutume, retranscrit à merveille le contenu du livre.
Cendres est disponible ici.
La conclusion de Nicolas W. à propos du Recueil de nouvelles : Cendres [2007]
Par ces 4 textes apparait déjà au lecteur le monde vu par Thierry Di Rollo, un monde âpre et noir, souvent incompréhensible dans sa cruauté. Cendres se révèle être une excellente porte d'entrée, accessible au plus grand nombre sur l'univers résolument sombre et désespérant du français. Globalement très bon, il serait dommage de se priver de ce petit goût de Cendres...
On a aimé
- Un style précis et impeccable
- L'atmosphère
- Jaune Papillon
- Des idées intelligentes
On a moins bien aimé
- Quelques grains de riz
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