Critique La Mouche #1 [1987]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le lundi 17 mars 2008 à 15h56

Seth, la chrysalide humaine

David Cronenberg s'est toujours passionné, et cela dés sa période cinéphilique post-pubère, pour la science organique. Il s'est notamment souvent intéressé au concept de la métamorphose des corps,tant et si bien qu'il acquit très tôt le surnom de "cinéaste de la chair". Ainsi, Frissons, Chromosome 3, Videodrome et la Mouche comptent parmi les oeuvres de sa filmographie qui mettre en avant la perversion, via un élément de souillure, de la pureté humaine. Que cela soit des parasites organiques, des influences électro-magnétiques, des injections chimiques et dans le cas qui nous intéresse plus particulièrement, l'accident cellulaire, tous ces medium, dans la thématique développée dans les films du réalisateurs canadien, n'entraînent que dégénérescence et déshumanisation perverse. C'est l'un des principaux angles d'attaques de la dramaturgie de David Cronenberg, l'autre, aux conséquences similaires, est la déviance mentale et sociale, elle-même souvent provoquée par un déclencheur extérieur (en général les drogues).


Dans la Mouche, David Cronenberg récupère le pitch d'une vieille série B des années 50 pour construire sa propre histoire basée sur la monstruosité provoquée, une sorte de relecture pessimiste et unilatérale de l'aspect sacrilège et blasphémateur du processus scientifique (loin de la binarité optimiste de Frankenstein ou de Jekyll et Hyde) . Là encore, pour sensibiliser l'audience, il utilise des personnages aux profils psychologiques éprouvés; Seth Brundle est un scientifique surdoué mais replié sur lui-même, à la limite de l'aliénation sociale, alors que Veronica sort d'une liaison amoureuse éprouvante avec une personne d'autorité. Ces deux individualités écorchées et socialement secouées vont donc transformer leur rencontre, au début très formelle, en une idylle passionnée qui sera exacerbée par leur nature curieuse (scientifique pour l'un, journalistique pour l'autre). David Cronenberg tisse alors entre ces deux êtres une toile amoureuse naturelle et honnête, basée sur leur innocence réciproque, et rendant le couple éminemment sympathique aux yeux du spectateur. Et cela afin de mieux l'éprouver lorsque les choses vont mal tourner...
Car Seth Brundle va tomber malade, tout simplement, mais terriblement malade. Car, en pleine explosion de ce fléau que l'on appelle le SIDA, on comprend sans difficulté l'approche métaphorique de ce conte sordide prenant comme alibi la fusion cellulaire. Ayant subit la souillure d'un corps étranger réputé comme étant "sale" (une mouche) dans son organisme, Seth Brundle va changer. "C'est comme une forme de cancer, je ne sais pas" dit le scientifique lorsque les premiers symptômes de sa maladie deviennent trop évidents pour être déniés. A ce moment, le cinéaste entame une lente exposition de l'agonie de Seth Brundle en tant qu'être humain, en prenant le spectateur à témoin par l'imposition d'un point de vue issu du regard de Veronica, qui balance sans cesse entre l'envie de vomir et l'envie - le besoin - d'aimer. Pour amplifier l'effet dramatique, David Cronenberg essaye de nous dégoûter (il y a parvient assez souvent) par des effets spéciaux écoeurants et sordides, exposant Seth Brundle dans une position de faiblesse et de confusion psychologique totale. Seth Brundle, un malade qui finit par avoir plus peur du regard des autres que de sa propre mort programmée.

David Cronenberg pense aussi à explorer aussi le terrain de la punition "divine" dans le sens large du terme. Pour ce faire, il utilise une astuce scénaristique. Plutôt que plonger de suite le héros dans une constatation de sa dégénérescence, il décide bien au contraire de la masquer par une augmentation soudaine de ses capacités physiques. Et c'est à cet occasion que Seth brundle va exposer au grand jour son coté le plus sombre. Libéré des ses complexes par l'apparition soudaine d'une sorte de super pouvoir, le scientifique posé qu'il a toujours été perd toute rationalité et laisse s'exprimer ses instincts primaux. Finalement, lorsque Veronica lui déclare "tu as changé, tu me fais peur", ne voit-elle pas en lui ce qui l'effraie le plus dans la nature humaine: son goût pour le pouvoir, son désir d'accessit à la puissance divine, sa rage de vivre. "Tu ne veux pas te plonger dans le magma, tu n'est pas digne de moi" lui crie, fou de rage et de dépit, celui qui se prend soudainement à postuler à la déification. Il n'est pas insensé de penser que le si doux Seth Brundle n'a jamais été aussi humain qu'en cet instant de crise identitaire.
Le film finit sur une note plus classique. Si l'idée folle de Brundle-mouche qui est de noyer ses gènes pervertis dans ceux d'une personne pure est dramatiquement séduisante, je suis nettement moins convaincu par la méthode narrative utilisée par le cinéaste. En effet, après une première interrogation suite à une brusque accélération de la métamorphose du mutant qui n'a que l'horreur graphique comme objectif, j'ai assisté un peu médusé à cet instant de prise de conscience, ce réveil soudain de l'humanité de Seth Brundle, émergeant des tréfonds de ce cerveau « insectoïde ». Un phase "d'éveil" pathos qui va entraîner une séquence mélodramatique qui n'a eu aucun autre effet sur moi que provoquer un fou rire (notamment l'irrésistible regard de chien battu de la créature, il ne manque plus que les longs cils de Greta Garbo...). Un manque de subtilité qui m'a un peu surpris, David Cronenberg ayant fait nettement mieux dans d'autres circonstances.

La conclusion de à propos du Film : La Mouche #1 [1987]

Auteur Nicolas L.
78

La Mouche est peut-être le film les plus connu de David Cronenberg. Cela n'est pas surprenant car, s'il n'est certainement pas le meilleur, il est assurément celui qui expose le mieux les obsessions du cinéaste tout en restant dans le registre du cinéma de science-fiction populaire. Dotés d'effets spéciaux excellents, appuyés par une interprétation solide du duo glamour Jeff Goldlum / Geena Davis, cette oeuvre à la fois horrifique et sentimentale est apte à satisfaire tous les publics. Et c'est certainement ce qui fait sa force. Un classique du cinéma fantastique des années 80.

On a aimé

  • Un scénario pertinent
  • Une interprétation hors pair
  • De bons effets spéciaux

On a moins bien aimé

  • Une fin un peu décevante

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