Critique Accelerando [2006]
Avis critique rédigé par Manu B. le dimanche 24 juin 2007 à 12h40
De la Singularité (import)
Manfred Macx est spécialisé dans un domaine assez curieux. C'est un chercheur de bonnes idées, idées qui permettent à ses clients de gagner beaucoup d'argent, ou des parts de marché, ou des procès etc. Et c'est le meilleur. Ce don qu'il possède -avoir une dizaine de bonnes idées par minutes- ne lui confère pourtant pas une richesse personnelle significative. Sa réputation lui permet d'agir directement sur l'économie de marché, laquelle doit s'adapter, se transformer pour s'adapter à cette nouvelle façon de penser. Manfred reçoit un jour un appel d'une entité qui s'avère être une IA cherchant à gagner son indépendance. Pendant ce temps, sa fiancée Pamela, qui le tient au creux de sa main, le force à se marier avec elle, pour gagner du même coup le pouvoir qu'il détient...
Le thème de la Singularité technologique est une idée qui a germé dans les années 50, avec l'émergence de la notion d'Intelligence Artificielle que Von Neumann a posé. Mais c'est avec Vernor Vinge, mathématicien de haute volée avant d'être l'auteur de SF que nous connaissons, que la Singularité a vraiment été traitée, notamment dans son essai Technological Singularity en 1993, le plaçant comme Le spécialiste de cette notion. Rappelons que la Singularité est le point où l'évolution technologique de la civilisation humaine ne dépend plus de l'intervention humaine elle-même, mais des intelligences artificielles que l'homme a lui-même créés. Au-delà de ce point, l'homme n'a plus son destin entre ses mains. Cette nouvelle civilisation peut prendre des formes aussi différentes, dans laquelle l'homme ne devient qu'un pantin, instrument ou outil.
Un peu comme dans le cycle de la Culture d'Iain M. Banks où la société typiquement post-singularité est dirigée par les IA, et pourtant peuplée par les hommes.
Charles Stross, qui écrit depuis les années 80, n'a vraiment emergé qu'au début des années 2000, avec la publication de son premier roman Singularity sky en 2003, dont le thème de la Singularité (ou plutôt de la civilisation en phase de post-singularité) lui avait déjà valu d'être nominé pour le Hugo. Avec accelerando, il traite explicitement du passage de la civilisation humaine dans la Singularité. On a donc un état de cette société juste avant cet évènement, pendant et juste après. Il existe donc trois temps forts qu'il avait originalement publié séparément, ce qui fait d'accelerando un fix-up de haute volée.
The rapture of the nerds and the heaven of the AIs
A notion complexe, Charles Stross semble vouloir correspondre un roman complexe, du moins "geek-like". Du moins dans la forme. C'est pourquoi, au long des pages, il nous bombarde de termes du domaine de l'économie et de l'informatique. Il utilise également des modèles encore hypothétiques, tels que la Matrioshka brain, qui est en quelque sorte un assemblage (du genre des poupées russes) de sphères de Dyson -ces coquilles qui enveloppent une étoile pour en absorber l'énergie et l'utiliser d'une manière ou d'une autre -, mais pour en récupérer ici sous forme de computronium - une sorte d'énergie non quantifiable aujourd'hui produite par nanotechnologie et exploitable uniquement sous forme de calcul- pour nourrir une noosphère, par exemple. Dans ce futur hypothétique, le vrai pouvoir réside dans la largeur de bande, qui donne justement un pouvoir de calcul et de traitement de données des plus cruciaux. L'auteur nous plonge donc dans cet univers, où l'on peut croiser les California spiny lobsters, Boötes void, des brown dwarves et autres. Oui, l'auteur assume pleinement l'utilisation de telles notions à travers l'emploi d'un vocabulaire qui risque de déstabiliser le lecteur non averti, mais qui parvient à hisser cette oeuvre à l'avant-garde de la SF d'aujourd'hui.
Outre le background caractéristique de ce roman - car c'est loin d'être une superbe coquille vide-, nous avons bel et bien une histoire qui est celle d'une saga familiale. Car à chaque étape (postsingularité, singularité et presingularité) correspond une génération de la famille des Macx: Manfred, Ambre (la fille) et Sirhan (le petit-fils). Et c'est au travers des relations de ces trois personnages que Charles Stross aborde le thème du conflit des générations. Accelerando est tout sauf dénué d'humanité. Les personnages sont tour à tour agaçants et attachants, intelligents et stupides d'une certaine manière, froids et émouvants.
En même temps (et oui encore), l'auteur imagine l'avènement de l'anarcho-capitalisme dans un système appelé Economics 2.0 où les états disparaîtraient au profit d'un marché libre où le commerce seul entre compagnies privées serait de rigueur. Il n'est pas sans dire que les seuls éléments de transit seraient l'argent et les biens de consommation. Sauf que la Singularité apporterait son lot de malheur, notamment pour les humains.
Liens utiles:
http://en.wikibooks.org/wiki/Accelerando_Technical_Companion
http://www.accelerando.org/
La conclusion de Manu B. à propos du Roman : Accelerando [2006]
Au final, accelerando est un vrai roman charnière dans l'histoire de la SF, mais difficile d'accès pour le non-initié. Charles Stross s'impose comme l'un des romanciers phares de ces dernières années.
Prix Locus 2006.
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