Critique Elémentaire [2023]

Critique de la version française

On ne va pas se mentir, Pixar est clairement tombé de son piédestal depuis une bonne dizaine d'années. Une politique de suites comme l'impression d'un studio un peu mis de côté par Disney ne peuvent aussi masquer une qualité moindre de ses longs-métrages. Pourtant, l'étincelle est toujours là comme le prouve Elémentaire.

Elémentaire est avant-tout un film de Peter Sohn. D'une part car il en est le réalisateur mais aussi celui qui en a eu l'idée en premier lieu. Sohn fait partie de la maison Pixar depuis le début des années 2000 travaillant autant comme animateur que comme artiste de story-board avant de réaliser son premier court-métrage en 2009, Passages nuageux. Il enchaîne ensuite avec la production compliquée du très sympathique Voyage d'Arlo (malgré une réputation assez faible...). C'est à la suite de ce long-métrage qu'il propose l'idée de créer un film à base de personnages faits de feu et d'eau et de leur supposée impossibilité à interagir ensemble. Vont ensuite se greffer plusieurs scénaristes et artistes pour donner vie à un monde de fantasy peuplé de créatures basées sur les quatre éléments que sont le feu, l'eau, la terre et l'air. S'en suit une production de sept ans où les équipes durent gérer les périodes de télétravail liées au Covid pour faire de Elémentaire le 27ème film d'animation Pixar doté d'un budget pharaonique de 200 millions de dollars. La sortie mondiale du film se positionne stratégiquement au début de l'été 2023 pour un accueil public et critique globalement positif mais pas vraiment au meilleur niveau qu'a connu Pixar...

Le film démarre alors que les êtres de feu (les flamboyants) Brul et Sandra Lumen arrivent en tant qu'immigrés dans l'incroyable cité d'Element City peuplée d'êtres d'eau (les aquatiques), de terre (les terriens) et d'air (les aériens). Leur installation est compliquée car en plus de leur statut d'étrangers, ils doivent faire face à la méfiance des autres créatures vis à vis de leur corps fait de feu jugé menaçant. Malgré tout, Brul réussit à trouver un logement qu'il transforme en magasin où va naître leur fille Flam. Des années plus tard, Flam est devenue l'assistante de son père qui pense prendre sa retraite, sa santé étant déclinante, lorsqu'il jugera sa fille apte à reprendre le magasin. Malheureusement, Flam dispose d'un tempérament littéralement explosif ayant du mal dans son relationnel avec les clients. Lors d'une matinée de travail particulièrement éprouvante, elle pète les plombs dans la cave ayant comme conséquence de faire sauter les canalisations qui inondent son foyer tout en faisant arriver par inadvertance l'inspecteur des eaux, l'aquatique Flack. Ce dernier constate de nombreuses infractions qui pourraient entraîner la fermeture du magasin de la famille Lumen. Flam n'a d'autres moyens que de collaborer avec Flack afin de convaincre l’administration de sauvegarder son foyer. D'autant plus que son lieu de vie situé à Fire Town est censé avoir été coupé de l'approvisionnement en eau. Lors de leur enquête, Flam et Flack vont peu à peu se rapprocher alors que tout les opposent...

Il est intéressant de voir à quel point le scénario de Elémentaire mélange à ce point l'innovant comme le très classique. Une histoire qui offre de magnifiques moments mais qui fait parfois preuve d'un manque de subtilité dommageable... Néanmoins, il faut avouer que la mise en place de ce monde si particulier dans lequel on va plonger pendant 1h50 est parfaitement faîte et que le reste du film se déroule sans aucun temps mort ni faute de rythme. On s'attache rapidement à Flam et Flack ainsi que toute la galerie de personnages secondaires (dont les membres de leur famille respective) dans un récit qui mélange comédie romantique et drame familial. L'aspect enquête autour de la présence de l'eau n'est finalement qu'un prétexte pour rapprocher Flam et Flack dans un long-métrage Pixar qui ose ne proposer aucun réel antagoniste ce qui en fait sa plus forte originalité. A coté de cela, l'aspect comédie romantique est très (trop) classique avec le fameux troisième acte aussi cliché qu'attendu. Le film se concentre donc sur l'histoire d'amour de deux êtres que tout semble opposer jusque dans leur nature en plus du monde de préjugés desquels ils doivent se défaire.

Comme il a été dit, le film est vraiment celui de Peter Sohn qui avec Elémentaire nous parle d'immigration. Et pas de manière métaphorique avec ces êtres éléments puisque la famille Lumen est littéralement une famille d'immigrés. Sohn s'est inspiré de sa propre vie en tant que fils d'immigrés coréens à New-York tout en étant marié à une femme non coréenne. Cela se traduit dans le film par une sorte de communautarisme qui régit les différents quartiers d'Element City où les flamboyants seraient les classes populaires vivant dans un quartier plus modeste loin des grattes-ciels des aquatiques. De même, les flamboyants doivent faire face à de nombreux préjugés et sont victimes d'une forme de xénophobie mise en lumière à différents moments du film. Des passages qui manquent parfois clairement de subtilité dans un film qui a néanmoins eu la bonne idée de répartir les préjugés chez toutes les espèces. Ainsi, Flam et son père sont bien plus réactionnaires que Flack et les siens malgré leur position dominante qu'ils ont un peu de mal à remettre en question. Le film réussit la plupart du temps à bien manier ces thématiques même si parfois elles sont malheureusement surligner à trop gros traits. Peter Sohn y injecte aussi la thématique du rapport compliqué au père pour Flam qui espère plus que tout briller sous cette ombre menaçante avec la peur ultime de décevoir celui qui semble avoir tout fait pour elle. Quand bien même il peut s'avérer étouffant. Un rapport au père que Sohn avait déjà bien traité dans Le Voyage d'Arlo démontrant que Pixar peut toujours faire du cinéma d'auteur.

Mais Pixar c'est avant-tout du cinéma de divertissement familial et ce film n'échappe par à la règle. Et pour captiver son audience, le film repose sur deux piliers que sont l'humour et son incroyable beauté tirant partie de son univers original. La découverte de la ville au début du film donne tout de suite le ton à l'image de ce qu'on avait ressenti au début de Zootopie. Le film devient dès lors amusant dans le sens où l'on s'émerveille devant la manière dont les différents éléments vivent et organisent leurs espaces avec évidement des interactions parfois bénéfiques et d'autres plus problématiques. Chaque élément a sa particularité qui sert souvent de moteur aux multiples gags présents durant le film faisant souvent mouche. Soyons clairs, on ne rit pas à gorge déployée devant Elémentaire mais le sourire est souvent affiché sur notre visage. On s'amuse de voir les flamboyants mettre le feu sans le vouloir à ce qui les entoure comme aux aquatiques de souvent pleurer en étant très émotifs. Il faut néanmoins avouer que ces particularités ressortent surtout quand le scénario l'exige et la première apparition de Flack faîte de pleurs ininterrompus n'aide pas beaucoup à nous le rendre sympathique. Un humour qui repose donc beaucoup sur un comique de situation mais aussi sur des dialogues qui sont souvent là pour embarquer un public plus âgé avec quelques sous-entendus efficaces.

Mais ce qu'on retient le plus du film c'est son incroyable beauté. La découverte de Elémentaire est un plaisir de tous les instants car on sent que Pixar rappelle à tous qu'il est un cran au-dessus d'un point de vue artistique mais aussi technique. Le film est sublime et il le sait avec des plans larges à couper le souffle qui éclatent de couleurs. Cela se ressent dans la mise en scène de la romance naissante des deux héros à travers des moments qui nous en mettent plein les yeux avec un rythme plus posé pour bien démontrer que cet amour est une sorte de parenthèse en dehors du temps. Des scènes où le travail des artistes, des animateurs comme du réalisateur se subliment pour offrir de beaux moments de cinéma où tout passe vraiment par les images. Certes Pixar est bien trop conscient de ses effets mais ne boudons notre plaisir face à une telle beauté visuelle. Cela permet aussi de démonter l'intérêt de l'animation qui est pleinement utilisée pour donner vie à l'impossible. L'idée d'êtres faits de nuages (rappelant le court-métrage de Peter Sohn), d'eau et de feu pouvait être casse-gueule mais on y croit dès les premières secondes. L'image est un peu éculée donc facile mais Pixar est réellement un magicien de l'animation.

On ne va pas se mentir, on sent réellement les 200 millions de dollars de budget tant ce qu'on voit à l'écran fourmille de détails avec un film qui met en permanence des éléments qui sont généralement compliqués à créer en animation. Mais tout fonctionne ici à merveille en termes de fluidité avec des personnages ayant une réelle identité dans l'animation que se soit ceux principaux évidemment mais aussi les personnages secondaires. La scène « d'action » finale vaut à elle seule le détour avec un déchaînement des éléments et de nombreuses destructions qui impressionnent. Peter Sohn livre ainsi une mise en scène soignée qui reste dans le ton des divertissements familiaux. On peut néanmoins retenir sa science du plan large et ses mouvements de caméra toujours souples voire langoureux lors des scènes de romance entre ses deux protagonistes. Enfin, le casting vocal français est de grande qualité avec l'appel à deux acteurs confirmés que se soit Adèle Exarchopoulos pour interpréter Flam et Vincent Lacoste dans la voix de Flack. Le reste du casting composé de professionnels du doublage est dans le ton.

On vous le conseille si vous aimez Vice-Versa, Zootopie, Le Voyage d'Arlo...