Entretien avec... Justine Niogret
L'auteur de Chien du Heaume
Justine Niogret, qui vient de remporter le Grand Prix de l'Imaginaire pour Chien du heaume (éditions Mnémos), nous a accordé cette interview. Elle nous y dévoile ce qui l'a menée jusqu'à la parution de son premier roman et nous donne quelques pistes sur l'histoire de son prochain roman.
Bonjour Justine Niogret. D'abord, félicitations pour ton prix. Quel est ton sentiment après avoir reçu le Grand prix de l'imaginaire. Est-ce une récompense, une consécration, un encouragement pour la suite ?
J. N. : Bonjour à toi, et merci. =)
Mon sentiment ? Un mélange d'un peu tout ensemble. Une récompense, oui, dans le premier sens du terme. Une consécration, non, parce que c'est mon premier roman, et que pour moi, on ne peut consacrer qu'une carrière, ou un ensemble d'œuvres assez notable. Un encouragement, très certainement. Une sorte de pouce levé de la part de la profession, une façon de dire « cool story, bro », et une reconnaissance du travail effectué, peut-être.
Ca me fait très plaisir, parce qu'on entend souvent dire que le milieu n'attend que des livres dits « faciles », des scénarios vus et revus, une langue simple. Or, je trouve que Chien est un livre qui peut paraitre difficile d'accès, dans le sens où la langue est travaillée, où on ne passe pas que de scènes d'action en scènes d'action, où « l'ambiance » a autant d'importance que le reste de l'histoire. J'ai voulu en faire un conte, une histoire qu'on se lit ou qu'on se raconte au coin du feu, avec cette même impression qu'on avait quand on nous disait un conte de fée ; un dépaysement, une étrangeté, qu'on ne sent que l'histoire finie, une fois qu'on retrouve son monde à soi, son salon, sa chambre, ses vêtements et la lessive à faire. Alors oui, je prends ce GPI comme un encouragement à continuer sur cette voie.
Crois-tu que cela va dorénavant changer ta manière d'écrire ? Te mettre un peu plus de pression sur les épaules (quand on est récompensé pour son premier roman, les lecteurs vont peut-être plus t'attendre au prochain)
J. N. : Je te ferais une belle réponse de normand ; oui et non.
Non, parce que les prix, les ventes, ne changent pas la petite voix qui me réveille au milieu de la nuit pour me dire « Réveille-toi grosse nulle, j'ai une super idée là maintenant tout de suite alors bouge ta vie. ». Non parce que j'ai mes vieilles habitudes, qui savent quoi manger. Je sais où et comment je trouve ce que j'écris ensuite, et ça ne change pas.
Oui, parce que je ne veux pas décevoir ceux qui ont fait le voyage avec Chien du Heaume. Je suis obligée de mieux faire ; pas de surenchérir, mais de leur faire voir plus que le petit monde du Chevalier. On parlera villes, on parlera voyages, on fera autre chose qu'errer dans les chemins abandonnés du monde à venir. Oui aussi parce les choses changent forcement quand on sait que ce qu'on a fait a plu.
Je préfèrerais ne rien changer, moi ; ne pas me prendre plus au sérieux ou attraper des chevilles de bœuf aux hormones. Je voudrais juste continuer à écrire, à lire mes livres chiants sur la gueule des chemins au moyen-âge et comment on reconnait une route romaine d'une carolingienne, et le nom latin des marchés selon leur présence intra ou extra-muros. Je pense avoir le bon sens de savoir que les prix s'adressent aux livres, et pas aux auteurs. Chien était bon, à moi d'en faire d'autres meilleurs. Et j'essayerai. Fort.
Pour revenir sur ton parcours, tu as publié ton premier texte en 2004 (« Un chant d'été in Les fées, aux éditions Oxymore). Que penses-tu du chemin que tu as parcouru jusqu'à maintenant ?
J. N. : Je n'en suis pas mécontente. Je me disais qu'il fallait déjà travailler sur de la nouvelle, histoire de se rôder à l'écriture, à l'édition, de se faire un tout petit nom, et que vouloir commencer par un roman de mille pages était sans doute une idée discutable. Ne serait-ce qu'en ce qui concerne le temps passé sur le texte ; une nouvelle refusée, c'est un mois ou un jour « perdus » ; un roman, c'est tout de suite un an ou plus.
Je voulais commencer par la nouvelle, donc, et faire suivre, une fois aguerrie, par l'écriture d'un roman perso. C'est ce que j'ai fait, ça a eu l'air de marcher. Je ne me suis pas trop plantée, c'est déjà ça.
Chien du Heaume (1) est ton premier roman. De 2004 à aujourd'hui, tu n'avais écrit que des nouvelles. Est-ce par préférence, par commodité ?
J. N. : Comme je te disais, j'ai surtout fait de la nouvelle pour ne pas passer un an sur un roman « nul », qui sent le plâtre neuf et les erreurs d'écriture de débutant. Je voulais apprendre, et changer de techniques, de persos, voir ce qui ressortait de ma façon de faire une fois une vitesse de croisière atteinte. La nouvelle était encore le meilleur support pour tout ça. J'aime le côté travail fini de la nouvelle ; on commence à chercher des idées, on se met au clavier et on finit dans les deux jours. Ca me plait, c'est une sensation d'achèvement bien plus commode que celle du roman, qui finit toujours, en tous cas chez moi et de ma petite expérience, par un déchirement et un sale adieu aux persos. C'est dur de finir un roman. Une nouvelle, on la termine avec le sourire, le stylo entre les dents à la façon du patron de « l'agence tous risques. » Un roman, on la ramène moins, on laisse de la chair dedans, ça fait mal, un peu. Ou beaucoup.
J'ai lu que (2) que tes influences font référence à des auteurs classiques (Vian, Dostoïewsky, Steinbeck, Hugo). Est-ce à dire que tu es venue à la fantasy (et peut-être à la SF) sur le tard ?
J. N. : Pas spécialement. J'ai toujours beaucoup lu, et quand je parle de mes références, je parle de livres que j'ai finis très jeune. Dans mes souvenirs, j'ai commencé à lire du King, des Lancedragon et Faërie, de Feist, à partir de dix/douze ans, après effectivement les Vian et Steinbeck. J'ai vidé la bibliothèque de ma ville et je suis ensuite passée à autre chose. J'ai donc eu ma période fantasy entre onze et quinze ans. Ce terreau-là est venu se mélanger au reste. La sf, je n'ai jamais été une grande fan, tout simplement parce que ce qui me donne envie c'est souvent de la hard sf et que je n'en ai jamais trouvé autour de moi, simple absence à mettre sur le compte des hasards. Je n'ai eu la possibilité d'en lire qu'au moment où j'arrêtais de lire des romans. Les premiers livres de fantastique que j'ai eus entre les mains, par contre, datent de mon enfance, c'étaient les vieilles anthologies planète, du Lovecraft oublié, des histoires de zombies et de fantômes qui coulent, du Maupassant. Ca donne une couleur étrange et très spéciale, j'aime toujours beaucoup. C'est curieux, d'ailleurs, il y a une maison dans laquelle j'ai vécu toute petite, et quand je lis un texte de cette époque, dès qu'il y a une maison, l'action se déroule dans celle-ci. Les Chiens de Tindalos ont été lus près de cette cheminée, les voleurs de corps Lovecraftiens sont partis de ce salon pour aller affronter la lande, c'est marrant.
Comment es-tu venue à l'écriture en fantasy ?
J. N. : Je n'ai pas l'impression d'écrire de la fantasy. Plutôt un mélange de littérature générale et historique, réaliste, que ce soit en roman ou sur la moitié de mes nouvelles. Tout est possible, et si je n'écris rien sur les dragons et la magie c'est tout simplement parce que je suis trop paresseuse pour réellement imaginer un monde réaliste avec ces créatures. Ca n'engage que moi, mais je décroche vite des histoires où des bestioles bien plus fortes que tout le monde peuvent tuer tout le monde et raser une ville en deux coups de cuillère à pot. Ca n'a jamais existé sur le long et le moyen terme, il y a toujours eu un équilibre entre les « attaquants » et les « défenseurs », ou alors le plus faible a été balayé et on en a plus parlé, quelques rares exceptions mises à part. Pour moi, et je dis bien juste pour moi, un univers n'a d'intérêt que lorsqu'on peut y croire, imaginer y vivre. Les livres qui m'ont le plus plu sont ceux dont on referme les pages et auxquels on repense le soir avant de s'endormir, et où on se demande « merde, j'aurais été qui ? Moi, j'aurais fait quoi ? »
Est-ce aussi pour cela qu'il y a justement très peu de magie dans le monde de Chien du Heaume ?
J. N. : Je voulais déjà écrire un roman de combattants. Je voulais parler de ce que je voyais de la guerre à l'époque, ou du moins des combats quotidiens, de la violence de cette période telle que je la voyais. J'aurais pu faire une histoire à propos de la magie de l'époque, mais comme tu dis, on serait restés très loin des boules de feu et des vorpales. C'aurait été une magie « historique » aussi, parce qu'il y a beaucoup à en dire. Dans le deuxième tome des aventures de Chien, je parle de croyances, de foi, et je voulais aborder ces sujets-là dans un autre volume. Parce que je pensais que placer des cultes, des fanatismes, un certain mysticisme réaliste était sans doute trop complexe pour un premier roman, déjà par rapport au travail à fournir et à réussir, et ensuite au monde, que l'on présente.
Parle-nous du personnage Chien du Heaume. Comment est-il né ? Pourquoi une femme plutôt enrobée et courte sur pattes ?
J. N. : je ne me souviens pas vraiment comment elle est arrivée. Je sais qu'elle était déjà petite et rondouillarde. Ce que je sais aussi, c'est que son apparence physique a grandement à voir avec sa naissance et sa région d'origine. Comme ça a été dit et deviné sur pas mal de critiques en ligne, elle vient du nord, disons, sans spoiler quoi que ce soit, et dans le nord, tout le monde n'était pas grand et blond, j'ai voulu jouer là-dessus, sans doute. Disons aussi qu'une femme d'une tête plus grande que les autres, blonde, balèze et avec des nattes qui cherche le chemin de chez elle, n'importe quel pouilleux lui dirait « t'as été regarder en scandinavie, espèce d'imbécile ? » Ce serait beaucoup moins intéressant.
On a parlé de la langue moyenâgeuse, on t'a même critiquée pour cela. Je pense que ça manque un peu de jurons pour qu'elle sonne juste. Pourquoi une langue hybride ?
J. N. : Simplement parce que dire osfes pour flocons de neige ou moyel pour jaune d'œuf, ça passait mais le cale-pied frottait dans les virages. Quant aux insultes, on a lu un chapitre de Chien en public, devant des enfants, et je t'assure que d'un coup, tu te rends compte que quand même, « petite pute » et « salope », ça sonne dur, d'un coup. J'ai fini par éclater de rire, j'avais l'impression d'avoir écrit un « caca boudin » au tableau de la maitresse, c'était un sentiment assez étrange. Pour les insultes de l'époque, on peut lire les comptes rendus des procès d'époque, où on condamnait les voisins et voisines pour s'être traités de pesteux, de champis et de maures. Sinon, un bon texte dont je me sens proche aussi, c'est la Lokasenna, où Loki arrive dans la halle d'Odinn et commence à insulter copieusement tout le monde, mais de façon qui peut paraitre détournée aujourd'hui. J'aime beaucoup, les insultes sont véritablement très violentes mais sans aucun gros mot ou attaque directe. C'est tout en rebonds, c'est abject.
Chien du Heaume, c'est l'histoire d'une quête de l'identité. A la recherche du nom perdu de Chien du Heaume. A l'heure d'internet et des pseudos, crois-tu que « Un nom fait toute la différence, parce que tout ce qui a de l'importance, sur cette terre, en porte un. » ?
J. N. : Justement, cette époque plus que les autres donne une importance au nom, du moins je le pense. Sur les forums, on finit par connaitre les posteurs, du moins on en a l'impression, mais ils ne sont rien d'autre qu'un nom et une image en avatar. D'ailleurs, ce mot, ce nom choisi d'« avatar » est plus que symbolique de ma réponse à ta question ; représentation d'un Dieu sur terre, ou transformation.
On choisit un pseudo, on peut revenir sur un forum, une liste de diffusion où on s'est couvert de ridicule, engueulé avec quelqu'un, simplement en se trouvant un nouveau nom. C'est une liberté énorme de pouvoir se choisir son nom, de pouvoir montrer, objectivement ou de façon mensongère, ce qu'on veut de soi. Evidement, « ChaudasseDu49 » ne sera jamais perçue comme « GrosNounoursChercheAmeSoeur ». Les pseudos sont des surnoms qu'on se donne à soi-même, des surnoms qu'on peut fuir au besoin ou quand on en a envie, avec tout ce que ça représente de positif et de négatif. Des mues, un peu. Allez muer de votre vrai nom.
Un nom que les autres vous donnent, il est beaucoup plus difficile de le repousser.
Pourquoi avoir écrit un roman à l'ambiance et l'écriture assez sombre, finalement à l'opposé de ce que tu es toi-même ?
J. N. : C'est gentil. Je suis les deux ; gaie et sombre. Je pense juste être une écorchée vive, que ce soit en bien en ou en mal. Ce sont mes montagnes et mes vallées à moi, j'y vis, c'est pas toujours pratique mais c'est comme ça. Je ne peux pas avoir l'un sans avoir l'autre, j'ai déjà essayé, je n'y arrive pas. Il y a des gens immobiles, moi je grimpe et je descend, j'essaye de profiter du moment quand il se présente.
...
La vieille réponse horrible, on va m'envoyer les pompiers, alors qu'en fait ça va plutôt bien. =)
Pas les pompiers, des hommes en blancs, plutôt ^^
Tout n'est pas dévoilé dans le roman. Est-ce que cela appelle une suite ?
J. N. : Une suite suite, je dirais non. Un nouveau chapitre, je dirais oui. Je l'écris, d'ailleurs, en ce moment. Une autre part de la vie de Chien du heaume. Cette fois-ci je pense que j'en resterai là ensuite, mais on ne sait jamais.
Dans son passé ou dans son futur ?
J. N. : Bonne question. J'étais partie dans l'idée de faire une histoire dans son passé, et comme souvent, l'écriture prend le pas sur ce qu'on veut dire soi. Finalement elle prendra place une demi-année après la fin du premier livre. Je pense que ce qui a fait changer mon idée de départ, c'est la vie au castel de broe. En fait, si on regarde bien, il n'y a que des vieux. Et j'y tiens, à ces vieux, à ces gens qui ont leur vie et leur heure de gloire derrière eux. Je trouve qu'ils sont beaux dans leur monde, forts, qu'ils sont comme des statues au milieu d'une place, que plus personne ne regarde vraiment. J'aime leur âge. Un proverbe Irlandais dit « baisse les bras s'il le faut mais ne baisse jamais les yeux » ; je les sens comme ça, ceux qui restent. Ils sont forts ; on parle trop souvent de la force de la jeunesse, mais je pense qu'il n'y a rien de plus fort qu'un vétéran. Ils ont la technique, la force, la survivance, les cicatrices et savent ce qu'est la guerre. Les jeunes chiots, ça saute partout et ça mord sans réfléchir, parfois. Les vieux chiens, ça sait se taire en attendant leur moment. Ils avaient envie de raconter cette vieillesse, dans un monde où on ne peut pas être vieux.
Alors évidement, on ne parlera pas d'histoires de tisanes et d'arthrite, mais pour parler des personnages du castel comme je le voulais, il fallait parler de l'après-Chien. Ce que je fais, donc.
Chien du Heaume n'a pas été gâtée par la vie. Peut-on lui souhaiter d'être apaisée ? De trouver une épaule compatissante ?
J. N. : C'est très intéressant, ce que tu dis. Je tiens énormément aux trois phrases avant le livre, c'est en général le moment le plus émouvant pour moi ; je les choisis et je les écris quand j'ai fini le livre, et ça fait gros du cœur, quand même, j'avoue. Pour ce livre-ci, j'ai triché. J'ai choisi avant. Et une des phrases parle de sérénité, justement. C'est du Hatebreed, « give wings to my triomph » mais ça ne t'étonnera pas, tu connais mes goûts dramatiques en matière de musique.
Pour te répondre vraiment, je ne sais pas si Chien sera apaisée. Je ne sais pas. Est-ce qu'elle le mérite ? Est-ce que le monde la laissera faire ? Est-ce qu'une épaule, c'st finalement vraiment ce qu'elle cherche ? En tous cas, j'avais dit que le premier livre serait une serrure dans laquelle on glisse un œil, et que le monde s'ouvrirait peu à peu, parce que Chien elle-même regarderait enfin autour d'elle. Elle va le faire. Je ne sais juste pas encore ce qu'elle verra. Ca, je le découvrirai avec elle.
A part Chien du Heaume, tu as d'autres projets ?
J. H. : Oui. Toujours cette histoire de livre drôle, auquel je n'ai trouvé aucune forme ; je ne m'inquiète pas, c'est juste que c'est un fruit pas encore assez mûr, il tombera tout seul de l'arbre quand il aura assez pris le soleil. J'espère juste que ça ne sera pas mon Arlésienne. A part ça, oui, deux ou trois projets sous la pédale, qui grandissent de leur côté. Un peu de diversité ; je viens de finir deux nouvelles, une que j'espère drôle, une réécriture de mythe scandinave à la sauce n'importe quoi, et la seconde, un texte dans un univers non médiéval. Bref, j'ai pris deux grosses goulées d'air un peu différent de Chien, et j'ai bien apprécié. De la diversité, donc. Enfin, je dis ça mais si ça se trouve je ferai un « Chien du Heaume » par an jusqu'à la fin de ma vie, on ne sait jamais. Dieu me garde de faire un Chien du Heaume à la plage et un Chien du Heaume visite le Larzac. D'autant plus que j'aime le Larzac, je ne voudrais pas lui infliger ça.
Merci Justine Niogret. A bientôt pour la suite de Chien du Heaume.
(1) : Chien du heaume (éd. Mnémos, Icares)
(2) : http://www.actusf.com/spip/article-8759.html
Entretien réalisé par email du 04 juillet au 19 septembre 2010.
Publié le dimanche 26 septembre 2010 à 10h00
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Vivement son livre drôle j'adore son humour!!!
kufy, le 26 septembre 2010 11h51