Rencontre @vec... Eric Dinkian
interview du réalisateur de Kaojikara

Il y a 10 jours nous vous proposions de jeter un oeil sur la bande-annonce de Kaojikara, court-métrage de Eric Dinkian. Influencé - dans une certaine mesure - par le cinéma japonnais et arrivant à retranscrire à merveille leur savoir-faire dans le fantastique, Kaojikara reste surtout une métaphore intelligente de la perte de repères culturels.
Kaojikara possède un travail sur l'image assez impressionnant et encore plus lorsque l'on découvre le peu de moyen utilisé pour réaliser l'oeuvre. Je vous laisse maintenant en compagnie de son réalisateur, Eric Dinkian, qui nous répond à nos diverses questions concernant ce court métrage ambitieux et à découvrir.
peux-tu te présenter à nous ?
Je m’appelle Eric Dinkian, je suis monteur professionnel depuis 10 ans maintenant, en télé et en cinéma. Je suis également journaliste spécialisé en cinéma fantastique et « asiatique ». J’ai écrit et/ou réalisé divers petits projets, allant du clip vidéo au sketch humoristique. Kaojikara est mon premier court-métrage. Un film complexe que nous avons « officiellement » lancé en juillet 2004 et que nous avons achevé en juillet 2007 !
pourquoi le choix d'une japonaise et pourquoi le choix de la faire parler aussi en japonais ?
J’ai beaucoup de mal à m’expliquer sur le fait d’avoir tourné en japonais. Le choix de la langue était parmi les idées premières du projet, tout comme les visages distordus ou bien le thème de l’identité face à un environnement en rupture. Les points importants de l’univers du film sont vraiment arrivés spontanément. De ce fait, il m’est très difficile de les rationaliser.
Disons que j’aime beaucoup cette langue qui possède une musique très riche et particulière, et que son usage renforce énormément l’atmosphère du film. Après, ça reste justifié par l’histoire car Kaojikara met en scène une expatriée paniquant à l’intérieur d’un pays occidental dont elle ne possède pas les codes ni l’accès à la communication. Il nous fallait donc un personnage principal s’exprimant dans une langue du bout du monde.
Comment on monte un projet comme Kaojikara ?
Avec sa bite et son couteau !
Pour répondre de manière plus détaillée et élégante, disons que la concrétisation d’un projet comme celui-ci est affaire de débrouillardise, de collaboration avec une équipe motivée et de talent, et surtout de beaucoup de travail ! Bien entendu, nous n’avions aucune production derrière nous. Ce qui n’était d’ailleurs pas pour me déplaire pour un premier film, car je tenais à me prouver que nous étions capable de venir à bout du film par nos propres moyens.
L’équipe, bien que bénévole, à été globalement facile à lever. Etant déjà dans l’image, j’ai principalement pioché dans les amis, collaborateurs et leurs réseaux. Nous sommes donc rapidement arrivé à constituer une équipe très soudée et professionnelle. Comme beaucoup officiaient majoritairement en télévision, l’univers étrange du film les motivait à travailler dans un registre différent de leur quotidien.
Le matériel de tournage était très limité, mais nous avons eu l’énorme chance de l’avoir gracieusement grâce à certains de nos employeurs télé, qui nous ont donné ce coup de pouce en remerciement de nos « bons et loyaux services ».
Kaojikara n’a pourtant pas été simple à accoucher. Nos moyens matériels et humains restaient précaires compte tenu des ambitions du projet. La préparation a été longue et minutieuse. Le tournage éreintant et parfois très inconfortable. Et la longue post-production a été un marathon complètement insensé !


Comment as-tu choisi tes acteurs ?
Le personnage principal devait donc être une jeune femme d’origine japonaise, parlant la langue. Et au-delà de cette contrainte, il fallait trouver une comédienne qui puisse fonctionner dans l’univers fantastique du film, être à l’aise aussi bien dans des séquences introspectives que des séquences d’action, et qui soit d’accord pour endurer toutes les souffrances de son rôle bénévolement ! On a trouvé notre perle rare en la personne de Karin Shibata, grâce à un coup de chance que je ne m’explique toujours pas. Elle s’est énormément investi dans le rôle, allant jusqu’à collaborer directement avec la décoratrice pour caviarder le décor principal d’objets japonais personelles ou de vieilles photos de famille. Elle a été formidable du début à la fin du projet, aussi bien professionnellement qu’humainement. Ça fait un peu langue de bois promo de dire ça, mais pour cette fois c’est la vérité !
Pour le rôle du petit ami, j’avais dès l’écriture en tête Xavier Legrand dont je connaissais déjà les talents de danseur, de chorégraphe, et de comédien. Comme son personnage n’a pas de visage (et donc pas de dialogue), Xavier n’avait que son corps pour s’exprimer. C’est un challenge qui a demandé à Xavier d’inventer tout une gestuelle particulière à ce personnage. C’était d’autant plus ardu qu’il ne pouvait pas se reposer sur des modèles déjà existant. Son personnage n’est pas un fantôme, ni un zombie… La chorégraphie qu’il a écrite pour la dernière partie du film lui a demandé beaucoup de travail et d’imagination.
Alexandre Leycuras, qui interprète l’homme au visage troué poursuivant l’héroïne, est un ami comédien. C’était notre premier tournage ensemble, mais nous avons beaucoup collaboré par la suite sur des modules humoristiques du collectif Lézard Sot. Une rapide recherche sur des sites de vidéos comme Dailymotion devrait vous amener rapidement à découvrir son talent comique (ainsi que son postérieur, mais je n’en dit pas plus)...
Le cinéma japonais est-il celui que tu préfères ?
Il est vrai que j’adore le cinéma japonais. J’adore sa rigueur, sa profondeur, sa folie aussi… Ce qui me fascine dans le cinéma japonais plus qu’ailleurs, c’est cette absence de frontière entre cinéma d’auteur et cinéma commercial ou de genre, entre cinéma expérimental et cinéma classique, entre comédie potache et drame métaphysique. Beaucoup de réalisateurs nippons passent d’un registre à l’autre naturellement, parfois à l’intérieur d’un même film. La liberté d’inspiration d’un homme comme Takashi Miike me laisse sans voix. Bien que j’aime aussi beaucoup d’autres cinémas dans le monde, je dois avouer que je me sens personnellement proche de cet état d’esprit de « métissage » créatif.

Il y a beaucoup d'effets spéciaux et de maquillage dans ce court, cela a t-il était un problème ?
Il y a plus de 200 plans d’effets spéciaux dans le film. Aucun effet de maquillage a proprement parlé, tout a été fait ultérieurement en post-production en numérique. Concentrer tous les trucages après coup a soulagé le tournage, car nous pouvions enquiller les plans à vitesse grand V comme si de rien était.
La montagne de travail était par contre colossale pour l’équipe de graphistes. Surtout que certaines des méthodes de travail étaient très laborieuses et chronophages. Les deux tiers des effets de distorsions des visages ont été exécutés image par image en redessinant directement sur le plan filmé. A 25 images par secondes, nous arrivions à une quantité phénoménale de retouches. Le plus difficile a été de rester motivé sur les 2 ans nécessaires pour abattre le boulot. Il arrivait parfois qu’un membre de l’équipe graphique lève le pied pour ne pas se dégoutter à vie du projet ! De mon côté, j’organisais régulièrement des petites bouffes entre nous pour que nous puissions visionner ensemble le travail des uns et des autres. Il y avait une émulsion très positive, et cela avait pour effet de nous ressouder sur le film. Et quand nous franchissions un palier symbolique dans le plan de travail, j’organisais une plus grande bouffe avec l’équipe de tournage et les comédiens du film, pour qu’ils découvrent aussi les avancements du projet. Il y a donc eu la fête des 25% d’effets complétés, des 50 %... Ça parait idiot avec le recul, mais franchir ces paliers sous les encouragements de l’équipe nous a permis de tenir jusqu’au bout.
Qu'est-ce qui t’as décidé à utiliser par moments des effets de noir & blanc ?
Effectivement, les plans en intérieur sont en couleurs et les plans en extérieur sont en noir et blanc. C’est là encore une idée qui est venue très tôt dans l’écriture du film. C’est un choix visuel qui vient relancer l’esthétique du film à mi-course. Car les extérieurs ne sont pas seulement en noir et blanc, ils bénéficient d’effets spéciaux beaucoup plus « photoréalistes » qui tranchent avec les effets plus graphiques en image par image des intérieurs. Le but de tout ça est bien entendu de toujours essayer de surprendre le spectateur, de ne jamais l’enfermer dans une routine. Kaojikara est conçu aussi comme une expérience sensitive qui cherche à vous faire perdre vos repères dans ce monde étrange, tout comme l’héroïne du film.
Est-ce que tu te vois continuer dans le court-métrage ou le cinéma de genre ? Penses-tu que demain la France pourra aussi créer sa propre patte dans ce domaine ?
Oui, j’aimerais continuer à raconter des histoires et faire vivre des émotions. Je prépare actuellement un second court-métrage, avec une production cette fois ! Ce n’est pas un film de genre à proprement parlé mais un drame dans le milieu médical. Par contre, le traitement narratif est très particulier, à la limite du fantastique. Ce ne sera pas un film facile à mettre dans une case. C’est un projet qui me tient très à cœur en tout cas.
Pour ce qui est du genre dans le long-métrage en France, non, je ne crois pas que notre pays arrivera demain à créer sa patte. Je ne suis pas cynique, ni défaitiste. Mais pour avoir subit les déceptions (à quelques exceptions près), je ne crois pas que le genre en France se mettra sur les rails naturellement et rapidement.
Ce n’est à mon sens pas un problème lié au cinéma de genre français en lui-même, mais au cinéma français tout court ! J’ai l’impression que notre industrie est dans une perpétuelle guerre de clans où s’affrontent cinéma d’auteur, cinéma populaire et cinéma de genre pour l’hégémonie de l’étiquette nationale. Comme si chaque film qui sortait de chaque écurie était le nouveau champion qui allait écraser le voisin. J’en ai marre de cette guégerre stupide qui oblige par la même occasion le spectateur à choisir son camp. Mes deux films français préférés de ces derniers mois sont Eden Log et Bienvenu Chez les Ch’tis ! Pourquoi j’ai l’air d’un extra-terrestre lorsque je colle côte à côte ces deux films ?...
C’est triste, car pendant ce temps, nos voisins espagnols ont tout compris au genre et livrent très bons films sur très bons films ! Ils ont compris que faire un film fantastique n’était pas une démarche de geeks mais bel et bien un registre sérieux pour parler de thèmes douloureux et difficiles, pour visiter les pages sombres de l’histoire du pays ou encore pour offrir d’excellentes performances d’acteurs. L’Orphelinat est autant un drame qu’un film d’horreur. Et quand on voit qu’il fait la razzia sur les Goyas (l’équivalent de nos Césars), je me dis que le cinéma français a encore beaucoup de chemin à faire. Heureusement, je garde espoir grâce à des gens comme Clovis Cornillac, qui viennent du cinéma d’auteur et qui sont aussi capables d’être à l’affiche d’Eden Log et le mois d’après d’Astérix 3. Je suis persuadé que la réussite du cinéma de genre en France viendra grâce à ces gens-là, capable de réellement bousculer les conventions et les étiquettes…

Quels sont les réalisateurs que tu admires ?
Il y en a tellement !... Lorsque j’étais ado, j’étais fasciné par le Sam Raimi d’Evil Dead. C’était autant pour le film que j’adorais que pour le récit de la fabrication du film. Comment Raimi et ses acolytes s’étaient débrouillés pour lever seul leur budget, et les trésors de système D qu’ils ont déployés pour concrétiser telle ou telle séquence. Je reste toujours sensible à ces profils de francs tireurs, qui font leurs trucs dans leur coin et à leur manière.
J’admire beaucoup Shinya Tsukamoto, aussi parce que son cinéma et ses thématiques ont évolués au diapason de mon propre regard en tant que spectateur et être humain. Je me reconnais beaucoup dans son cinéma. Après, je pourrais citer des pelletés de noms qui me touchent beaucoup mais je ne crois pas que ce soit très intéressant…
Fort de ton expérience sur Kaojikara, celui-ci te motive t-il à aller encore plus loin ?
Bien sur, je fais tout pour reconstituer la formidable équipe de Kaojikara pour d’autres projets. Comme je t’ai dit, je travaille à un nouveau court cette fois dans le cadre d’une production, ce qui constitue un pas en avant important. Je ne cherche pas à développer pour le moment de projets longs, même si j’ai écris plusieurs traitements. Car ce n’est pas un fossé qui sépare un court-métrage d’un long, mais un canyon !! Ce serait bien entendu un rêve, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir et de maturité. Mais le nouveau court va être tellement difficile à concrétiser que c’est un challenge bien suffisant pour le moment !
Tu joues beaucoup sur le visage d'une poupée de porcelaine, c'est une chose que tu trouves effrayant ?
Cette poupée est un cadeau qui m’a été offert par des amies japonaises me rendant visite à Paris. C’est une poupée au naturel très mignonne, mais qui prend des tonalités étranges sous une certaine lumière. Sa présence dans le film n’est pas tant pour faire peur, mais pour créer du bizarre. La poupée intervient dans une séquence où l’héroïne se fait violemment agresser. Son visage blafard et son petit sourire figé devient de plus en plus dérangeant au fur et à mesure que la lutte s’intensifie. Créer du décalage à l’aide d’objets d’apparences anodins est créativement très stimulant.
Kaojikara a t-il ou va t-il être projeté dans des festivals ou convention ?
Kaojikara est un film particulier, qui tranche énormément avec la production actuelle. Comme le dit l’un de nos graphistes, son originalité est sa principale qualité mais aussi son principal défaut. On ne va pas se mentir, c’est un film que l’on a du mal à imposer dans les festivals. Ces derniers ont un peu peur de l’univers du film, car il ne s’inscrit pas dans un schéma déjà connu. C’est un peu la mode du trash en ce moment, du revival de l’horreur des 70’. Avec notre histoire de jeune japonaise en pleine crise d’identité à l’étranger, on ne rentre pas du tout dans ce cadre ! C’est un peu décourageant, d’autant que les quelques projections où le film a été sélectionné se sont très bien passées. Certains spectateurs ont même été dityrambiques avec le film, parce que ce dernier avait touché leur émotionnel. Maintenant, ça reste un film de trentenaire, avec des thématiques plutôt « adultes ». Nous allons continuer de faire le maximum pour que le film puisse être projeté et aller à la rencontre de notre public.
Paradoxalement, si Kaojikara est pour l’instant boudé par les festivals, il nous ouvre bien grand d’autres portes. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais le film devrait être en bonus d’une très belle édition dvd d’ici quelques mois. Ce qui nous donnera l’occasion de fêter l’évènement en ouvrant nos archives sur notre site internet (www.kaojikara.com). Nous finalisons en ce moment un documentaire de 30 minutes sur la production du film, qui sera accessible sous forme d’épisodes. Il y aura aussi des mini-courts-métrages d’animation qui prolongeront l’univers du film en reprenant certains personnages, ainsi que d’autres surprises. On espère que cela incitera les gens à tenter de s’aventurer dans notre univers et notre travail…

Auteur : Richard B.
Publié le jeudi 20 mars 2008 à 12h30

Diaporama photo : Kaojikara

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    Bonjour,

    J'ai eu la chance de voir ce film dans une projection à Paris il y a quelques mois et je ne saurais que vous conseiller d'essayer de le voir pas tout les moyens. C'est vraiment très bien réalisé, l'image est ultra travillé et il s'y dégage vraiment une grande émotion. Le son et la musique sont aussi bien réussi que le reste, dommage à la limite que l'interview fasse l'impasse là-dessus... Merci !
    Nikklass, le 20 mars 2008 16h04
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    Pour le lancement du quatrième numéro du journal No Dogs, nous organisons une soirée au Comoedia, avec une performance de Marie-Claire Cordat et une projection de 2 courts-métrages: "Les Maîtres fous" de Jean Rouch et "KAOJIKARA" d'Eric Dinkian.

    Alors... RDV jeudi 19 juin, 20h30, au Comoedia, 13 Avenue Berthelot, Lyon 7è
    claire, le 16 juin 2008 14h08

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