Interview de Gregor KARJE auteur de Konrad le barbare
Les secrets de sa création, son écriture... et des news d'autres projets
Gregor KARJE est un geek rôliste tchèque, influencé par Glen Cook (La Compagnie noire), autant que par les essais ou les romans sociopolitiques et historiques. Gregor propose une héroïque-fantasy cinglante, ironique, détourant les poncifs du genre, qui se veulent un écho et une allégorie des questionnements de notre temps : la quête de sens, la spiritualité, le rôle et la place des traditions, la communication hommes - femmes, la fonction du héros dans le récit. Son dernier livre auto publié est Konrad le barbare, la vouivre dévoilée.
SFU : Bonjour Gregor. Merci de te présenter pour nos lecteurs qui ne te connaîtrait pas. Peux-tu nous préciser le distinguo entre Gregor Karje et ta vraie identité, s’il y en a un et si tu veux/peux en parler.
GK : J’écris sous pseudo pour des raisons professionnelles. Je suis cadre non titulaire pour la fonction publique depuis bientôt 30 ans et l’écriture de romans de genre est incompatible avec mes missions. Gregor Karje est un personnage fictif qui me va bien. C’est le nom d’un de mes premiers personnages de jeu de rôle. La nationalité tchèque, c’est parce que je milite pour une Europe politique et que je trouve que l’on devrait exfiltrer plus de pays de l’Est du giron du colonel Poutine et de sa mafia.
SFU : Merci de nous présenter, en quelques lignes, Konrad le barbare, la vouivre dévoilée, ton dernier roman.
GK : C’est une même histoire vécue par plusieurs groupes de personnages dont les chemins se croisent ou cheminent en parallèle et d’un héros peu causant. Chacun pense arriver à ses fins, mais plusieurs surprises de dernière minute les obligeront tous… à s’adapter. J’ai créé cette chronique inédite issue du monde qu’adolescent j’avais créé pour mener des parties de jeu de rôle et qui rompe avec les canons du genre, tout en reprenant certains codes de l’heroic-fantasy. Il y a des humains, des elfes, des orcs, un dragon, une cité barbare dans le désert, bref, rien que de très banal dans ce type d’univers. J’ai voulu écrire à la façon des écrivains du 19ème siècle qui publiaient des feuilletons dans les gazettes, qui sont ensuite devenus des romans. J’ai essayé de lire le Le Seigneur des Anneaux dans ma prime jeunesse et j’ai abandonné avant d’atteindre le tiers du bouquin. Je ne veux surtout pas décourager mes lecteurs de la même façon que J.R.R. Tolkien l’a fait avec moi, alors j’écris des chapitres cours, en m’inspirant des ressorts de l’art télévisuel pour donner du rythme. Je veux rendre une image en creux d'une société dure, parfois cruelle, où les monstres ne sont pas toujours ce que l’on croit, où les vainqueurs n’écrivent pas forcément l’Histoire comme ils le veulent. Où l’adversité permet à l’humanisme d’exister et à chaque héros de se surmonter. Donc je ne veux pas faire du roman noir.
SFU : Depuis quand écries-tu et par quoi as-tu commencé ?
GK : J’ai entretenu une correspondance sentimentale manuscrite et numérique (à l’époque du Minitel !) pendant plusieurs années : un amour de jeunesse. Je pense que ça a aidé à faire éclore la volonté de continuer d’écrire, mais autrement. Pour entrer dans le concret j’ai commencé par des écrits professionnels et j’ai publié un mémoire de fin d’études en droit public sur les Cultures de l’Imaginaire chez l’Harmattan. Les vrais morceaux de fantasy que j’ai pu écrire ce sont des bribes romancées dans des comptes-rendus de parties de Donjons & Dragons. Une autre phase d’écriture importante, auquel je ne pensais plus avant de répondre à votre question a été la rédaction des personnages du jeu de rôles Grandeur Nature Fables inspiré de la BD de Willingham, qui au départ n’était qu’une soirée-enquête et a été ensuite jouée plusieurs fois à plus de quarante joueurs. Mais le déclic a été une formation d’auteur de quelques jours, dans un cadre associatif, avec Simon Sanahujas, qui a déjà plusieurs romans à son actif. C’est là que je me suis mis d’accord, sur ma motivation, mes exigences et surtout une méthode pour écrire au long court. C’était au milieu de la dernière décennie.
SFU : Comment t’es venue l’idée de Konrad ?
GK : Envie d’une histoire à raconter, qui soit captivante, passionnante. D’un challenge, d’une contrainte, celui d’écrire un roman où le héros ne dirait pas un mot. J’ai donc puisé le contexte dans l’univers de jeu de rôle de ma jeunesse, et beaucoup de la consistance des personnages, de ma propre expérience. Je voulais un dénouement de l’histoire qui soit inattendu et surprenant.
SFU : Qu’est-ce qui t’a inspiré ou quelles sont tes sources d’inspiration pour écrire ce roman ?
GK : Je ne peux nier que la série de romans sur la La Compagnie noire, de Glen Cook que je découvrais et dévorais à l’époque où j’allais décider de me mettre vraiment à écrire m’a décomplexé sur ce que je pouvais attendre d’un auteur de fantasy. Et donc sur ce que je pouvais m’autoriser à exprimer dans ma propre écriture. Ce que j’aime chez Glen Cook c’est que c’est un écrivain du cambouis, du labeur, qui se retrousse les manches et sue pour écrire. Il n’hésite pas à trancher dans ce que la fantasy a de plus culcul : les héros sont des soudards, des traine-misères, ou des despotes déchus. Ils en bavent grave, et même dans l’effort de la boue et des tranchées, ils vivent avec la certitude que toute victoire n’est jamais que provisoire. Après j’ai lu d’autres de ses romans et j’ai pris plus de recul dans ma vénération pour cet auteur : son passé dans la Marine étatsunienne fait de lui quelqu’un de friant pour l’histoire militaire et ça fini par vraiment se voir dans la La Compagnie noire. Il décrit un peuple d’asiatiques vivant dans la jungle qui fait furieusement penser aux poncifs des vétérans du Vietnam. Il a écrit aussi une série de romans avec un détective privé dans un univers d’heroic-fantasy : cela a été moins convainquant pour moi, et sans doute j’aime moins un style que lui adore, le roman noir. Après ma référence ultime est le film Conan le barbare de 1984. Il fut un temps où j’en connaissais chaque réplique…
SFU : Pourquoi avoir choisi certains noms bien connus et évocateurs pour tes protagonistes, bien qu’ils ne semblent pas apporter ou enrichir le roman.
GK : Les noms de personnages ou de lieux dans une œuvre de fantasy, à mon sens, doivent être dédramatisés. C’est sans doute un truc que j’ai chopé de Glen Cook, qui ne s’encombre pas non plus avec ça. Ils sont des portes d’entrée pour comprendre l’identité d’un personnage. Et donc font la liaison entre la fiction et le monde réel. Il y a certes des noms improbables dans mon roman : ce sont des clés pour la compréhension de la nature profonde de l’individu et de ce que ces noms peuvent représenter en miroir avec notre réalité. La plupart des œuvres de la Pop Culture proposent des noms pour le moins surprenant. C’est peut-être la volonté inconsciente d’être dans une culture prolétaire où la valeur du nom n’a pas valeur de statut ou de privilèges ? Par opposition à la culture des élites où le nom génère sa rémunération comme marque labellisée.
SFU : Tu as d’autres projets pour Konrad ? Une suite ? Des scénarios pour un jeu de rôle (JdR) ? Ou d’autres projets ? Peux-tu nous nous en parler ?
GK : J’ai en tête une suite, qui ne sera pas tout à fait la continuité de cette histoire, mais pourra faire un honorable tome 2. Il faut que je m’y mette. Avec l’accord de mon co-auteur, je suis actuellement dans la préparation de l’édition à compte d’auteur d’un jeu de rôle amateur de cape et d’épée, historique et fantastique, qui m’a permis de mener des tables de jeu de rôles en convention une à deux fois par an ces vingt cinq dernières années.
SFU : Écrire ce roman fût un projet difficile, long ou compliqué ? Es-tu plus tôt rapide ou lent pour écrire ? Écris-tu sur plusieurs romans et/ou jeux de rôle de front car tu es joueur ou maître de JdR également ?
GK : J’ai mis deux ans et demi pour écrire Konrad le barbare, un premier roman. Je pense que je mettrais moins de temps pour le prochain. C’est un métier d’artisan. Ce qui me permet d’aller au bout c’est de bâtir un organigramme narratif en carte euristique. Ainsi j’ai la colonne vertébrale et le squelette de l’œuvre : il ne me reste plus ensuite qu’à y mettre des tendons, des muscles, de la peau, et des poils, quand il en faut !
SFU : Comment écries-tu sur un carnet, des feuilles volantes puis sur ordinateur ? Te réveilles-tu la nuit pour prendre des notes de tes idées ?
GK : J’écris principalement sur ordinateur, mais il m’est arrivé de produire de manière manuscrite en vacances à la cambrousse, sans connexion. Et dans le train sur mon mobile.
SFU : Pourquoi l’auto-édition ?
GK : parce que pas d’éditeur ne s’est intéressé à moi. C’est d’ailleurs pour cela que je n’ai pas référencé Konrad le barbare en ISBN. Mon expérience d’auteur d’essai chez l’Harmattan et plus récente dans l’échange téléphonique avec l’éditeur Sidney Laurent ne m’a vraiment pas donné envie d’envoyer mon manuscrit à d’autres éditeurs.
SFU : As-tu un « vrai » boulot, si oui lequel ? Comment gères-tu ton temps pour écrire ? Ta famille, et Madame en particulier, ne râle pas trop ?
GK : J’ai écrit Konrad le barbare en marge d’une vie professionnelle et de famille trépidante. Ecrire en catimini a contribué en partie, au fait qu’aujourd’hui ma famille est « recomposée » et à la décision de changer de voie professionnelle. J’ai failli littéralement me tuer au travail. Il est temps pour moi d’accepter d’exprimer le versant créatif de mon être.
SFU : Quelles sont des acuelles lectures ? Te plaisent-elles, les conseilles-tu et pourquoi ?
GK : Don Quichotte de Cervantès et le Clan Spinoza de Maxime Rovere. Don Quichotte a toujours été un mystère pour moi : il révèle une part de ce qu’il y a d’éternel dans la chevalerie. Il fait la jonction entre la fin de la chevalerie médiévale et une chevalerie plus… spéculative. Le Paladin à Donjons & Dragons m’a toujours fasciné. C’est peut être pour cela aussi. Le Clan Spinoza est quelque chose entre un roman philosophique et un essai d’histoire des sciences. C’est passionnant et ça m’aide pour le background européen de mon univers ludique de cape et d’épée.
SFU : Tu es un rôliste, un joueur de jeux de rôles, mais joues-tu de nos jours ? Si oui es-tu Maître du Jeu ou plutôt joueur ? À quels jeux, quels sont tes préférés, et à quelle fréquence joues-tu ?
GK : Dans la motivation qui a abouti à Konrad le barbare, on peut y mettre cela aussi : tout ce que l’on ne maîtrise pas autour d’une table de jeu de rôle ont peu le figer dans les pages d’un roman. Comme beaucoup de ma génération, j’ai beaucoup joué avant mon entrée dans la vie active. Ensuite le jeu de rôle est devenu une activité en marge, voire une vieille nostalgie qu’on essaie d’entretenir en faisant du jeu de plateau ou du Grandeur Nature. J’ai toujours été plutôt meneur que joueur. Ce qui m’a poussé d’autant plus vite vers l’écriture.
J’ai pu un temps investir cette expérience dans le professionnel en faisant découvrir le jeu de rôle à une poignée d’adolescents qui sont aujourd’hui installés dans la vie. L’un d’entre eux est d’ailleurs devenu professionnel de l’édition et est aujourd’hui connu et reconnu dans la communauté rôliste. J’ai fait cela, parce que je fais aussi partie de cette génération de joueurs qui ont connu la communauté rôliste par un club dédié, c'est-à-dire une association Loi 1901. Et non pas via Internet. Pour être honnête, pendant des années mes seules parties ont été les démonstrations de mon jeu de cape et d’épée en convention. C’en était à tel point qu’avec mon co-auteur on se contentait d’écrire un nouveau scénario par an, pour éviter que des joueurs qu’on aurait déjà eu à notre table le jouent deux fois en convention. J’ai commencé le jeu de rôles au collège en 1988, en lisant des livres dont vous êtes le héros et en trouvant la boite rouge de Donjons & Dragons dans un placard chez un oncle, qui ne savait trop quoi en faire et me l’a donnée. J’ai donc tout de suite été meneur, et sans formation de joueur ni de club sous la main. Plus tard, j’ai été président de la Guilde de Picardie des jeux de simulation.
SFU : Vu ton amour du jeu de rôle, vas-tu écrire ton propre jeu ?
GK : C’est en cours, on en a parlé précédemment. Sans doute sur la même plate-forme que Konrad le barbare. Nous avons toujours revendiqué que notre jeu était « amateur ». En plus par beaucoup d’aspects, il est « old school ». Je sais que pour beaucoup de jeunes aujourd’hui old school, c’est comme « geek », ça retombe progressivement dans le registre ringard. Ca peut être compris comme synonyme de système de jeu indigeste, or ce n’est pas le cas. L’exigence du style cape et d’épée c’est une jouabilité et une fluidité irréprochable. On a travaillé cela, on est au point. L’aspect old school se positionne plus sur une approche ne voulant pas faire du jeu expérimental, ni dans les règles, ni dans la façon de jouer, mais rester dans une posture classique de la table de jeu de rôle, qui ma foi fonctionne.
SFU : Quels sont tes futurs projets d’écriture de livres, de jeu de rôle ou autre ?
GK : La priorité actuelle et le jeu de cape et d’épée, ensuite le Tome 2 de Konrad le barbare. Puis ce sera le récit des premières armes d’un Paladin, important dans ma campagne Donjons & Dragons. Ma fille va bientôt être en âge d’intégrer cette campagne et de jouer avec son papa en faisant évoluer son personnage de rodeur…
SFU : Merci pour cette sympathique interview et bon vent pour la suite de tes projets !
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Publié le samedi 15 février 2020 à 19h00
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