L'étrange Festival des 2 premiers jours
Nos retours sur Brand New-U, Stung, Tag et Turbo Kid

Après le traditionnel discours d’introduction, promettant notamment la meilleure sélection de l’Etrange Festival et invitant sur scène Benoit Delepine, l’une des figures de cette nouvelle édition avec Guy Maddin et Ben Wheatley, puis la projection du court-métrage Ghost Cell, superbe démonstration technique et en musique revisitant Paris en impression 3D mais à laquelle il manque une histoire (ce qui en fait plus un fascinant clip qu’autre chose), le réalisateur Simon Pummell et les acteurs Lachlan Nieboer et Nora-Jane Noone sont venus présenter Brand New-U, long-métrage de science-fiction britannique qui fait l’ouverture de cette 21ème édition de l’Etrange Festival.

 

"Brand New-U", réalisé par Simon Pummell avec Lachlan Nieboer, Nora-Jane Noone - Angleterre

Rien que rédiger un synopsis serait difficile tant ce Brand New-U est incompréhensible du début à la fin. De par sa structure labyrinthique, son enquête troublante et son atmosphère sombre et mystérieuse, Brand New-U rend hommage au Film Noir, notamment à des films comme Le Grand Sommeil, Le Faucon Maltais et les thrillers d’Hitchcock, classiques qui s’amusaient à perdre le spectateur pour mieux le surprendre, mais il évoque aussi les films de science-fiction et d’anticipation des années 70 et les histoires de Philip K Dick (en particulier Total Recall), puisqu’il s’agit bien d’un thriller SF schizophrène sur le thème de la quête identitaire (un homme traqué littéralement à la recherche de son identité, comme dans la plupart des récits de Philip K. Dick).

En dépit de ces excitantes références, d’un bon casting (excellent Lachlan Nieboer vu dans Charlie Countryman et Downton Abbey, et la belle Nora-Jane Noone, l’une des héroïnes malmenées de The Magdalene Sisters et The Descent, deux chef d’œuvres dans des registres très différents) et d’une esthétique sophistiquée, soignée jusqu’au tape-à-l’œil (mais la réalisation ne manque pas d’idées ni de style), Brand New-U peine à captiver, la faute à une intrigue absconse qui laisse trop de questions sans réponses et à un rythme languissant voire lénifiant qui joue beaucoup (trop) sur l’effet de répétition (y compris dans les dialogues). Le film en devient aussi creux que soporifique, et surtout dénué d’émotions, en dépit de quelques séquences qui (r)éveillent l’attention (celle, très étrange, avec les Père Noël kidnappeurs, ou encore la scène interminable dans laquelle le héros espionne son ennemi dans l’immeuble d’en face). Le traitement très premier degré le rend même prétentieux, tandis que la musique omniprésente lui donne parfois des airs de téléfilm ou de série télé.

D’autant plus regrettable que l’univers avait du potentiel et déballe une prod design (un Londres futuriste déprimant) très honnête pour une si modeste production, à l’image de petits films d’anticipation comme Code 46 ou Final Cut. Mais dans le genre SF/polar/espionnage, on est bien loin du génial Cypher de Vincenzo Natali, ou même du pourtant pas transcendant Renaissances de Tarsem Singh, toujours sur le thème de l’organisation qui propose, via un changement total d’identité, une nouvelle vie à ses clients (l’incroyable Seconds de John Frankenheimer est un des premiers films à avoir exploré cette idée). On a connu des films d’ouverture plus percutants et plus emballants, à l’Etrange Festival. Pas encore de date de sortie annoncée pour ce film qui risque d'avoir du mal à se trouver un distributeur en France.

Note de Jonathan C. : 4/10
Note de Richard B. : 3/10

 

"Stung" réalisé par Benni Diez avec Clifton Collins Jr, Jessica Cook, Lance Henriksen, Matt O'Leary - USA

Après les araignées, les crocodiles, les requins, les moutons ou encore pire les serpents, ce sont des guêpes mutantes qui vont devenir le pire cauchemar de l'humanité !

Paul et Julia sont en charge de la somptueuse garden-party qu'organise la fortunée Mme Perch sur son domaine. Un stress énorme pour Julia qui y voit là une occasion en or pour sauver son business qui se trouve au plus mal. Elle espère donc voir pour une fois Paul se conduire dignement et assurer au mieux le service. Mais au final, ce ne sera pas Paul qui cassera l'ambiance, mais un escadron de guêpes qui, après avoir côtoyé un engrais chimique illégal, se voit transformées en mutantes.

Premier film du superviseur des effets spéciaux de Melancholia, Benni Diez réalise tout ce que le spectateur peut attendre en termes de série B efficace. En effet, les amateurs (et nous en sommes) de petites et grosses bêbêtes vont être heureux de voir tout un clan d'individus se faire piquer et muter en grosses guêpes ou encore se faire trucider à coups de dard. Stung étant d'une durée assez courte (85 minutes), cela ne laisse guère le temps de s'ennuyer, en fait il s'agit même de la durée idéale à ce type de production puisqu'en général le scénario ne vole pas très haut (et c'est clairement le cas ici).

Globalement le spectacle est généreux en effets spéciaux et, hormis quelques flammes horriblement numériques en fin de spectacle, le reste tient parfaitement la route. En fait, Benni Diez réalise un film terriblement dans l'ambiance des films de créatures des années 80 (on pense pas mal à la légèreté d'un Critters 2) et la présence de Lance Henriksen en maire un peu à l'ouest, tentant de favoriser sa prochaine élection, a tendance à prolonger cette impression.

Stung sortira en France directement en DVD le 7 Octobre prochain chez Wild Side.

Note de Richard B. : 7.5/10

 

"Tag" réalisé par Sono Sion avec Reina Triendl, Mariko Shinoda, Erina Mano - Japon

Désormais, pas d’Étrange Festival sans une bombe cinématographique de Sono Sion dans la programmation, et c’est tant mieux tant le bonhomme représente parfaitement l’esprit du festival : de la folie, de la surprise, de l’originalité, de l’audace, de la décadence et de la passion. Cette année à l’Etrange, c’est non pas un mais DEUX films de Sono Sion qui sont présentés au public, le réalisateur enchainant les tournages à une vitesse digne d’un Takashi Miike.

Comme la plupart des films de Sono Sion, Tag est franchement difficile à raconter, et on préfèrera en révéler le moins possible sur l’intrigue afin de ne pas gâcher la surprise. Car ce qu’il y a de bien avec les films de Sono Sion, c’est qu’on ne sait jamais ou il nous emmène ni ou il veut en venir, et ça va toujours très loin, donnant l’impression de partir dans tous les sens avant de révéler une véritable cohérence, une poésie du chaos et une dimension profonde dans un dénouement démentiel et audacieux.

Naviguant entre les ruptures de ton, de séquences teen lyriques dignes d’un Gregg Araki (envoutante bande-son, soit dit en passant) à des séquences de carnage délirantes, gores et jubilatoires (le vent qui coupe les gens en deux, le mariage, la tuerie dans le lycée, le crocodile…) qui déboulent soudainement et font systématiquement renverser le récit (un carnage = un changement de vie), Sono Sion contre toutes les attentes du spectateur  et construit peu à peu, une fois n’est pas coutume, une véritable mise en abime sur l’art du récit, sur la puissance de l’imaginaire et sur la fonction du personnage (ou comment un être humain découvre qu’il n’est que le personnage d’une histoire, voire plus…), transformant sa farce semi-parodique en une réflexion sur le destin et les choix de vie (l’héroïne passe ici par plusieurs vies, littéralement), conclue par une fin magnifique (encore une fois, le cinéaste livre un dernier plan fort). Si le concept s’apparente à un jeu vidéo, ce n’est pas un hasard… Ici, tout part en vrille, tout est fantasme (Sono Sion ne passe pas à côté des petites culottes des étudiantes), c'est à la fois drôle, absurde, ludique, tragique et métaphysique, et la moindre situation anodine devient monstrueuse, ce qui peut certes finir par agacer certains spectateurs. Le tout avec une virtuosité et une technique très adaptées au sujet (notamment avec les nombreux plans-drone). Avec Tag, Sono Sion a encore fait très fort.

Si certains films du cinéaste ont eu le droit à une sortie en salles en France, ça ne devrait pas être le cas de celui-ci (au mieux une sortie directement en DVD, comme le génial Why Don't You Play in Hell).

Note de Jonathan C. : 8/10

 

"Turbo Kid" réalisé par François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell, avec Munro Chambers, Laurence Leboeuf, Michael Ironside, Aaron Jeffery, Edwin Wright, Romano Orzari - Canada

Auréolé d’une réputation de culte après sa projection au BIFFF, Turbo Kid s’inscrit dans la lignée des revivals eighties du bis dits grindhouse, revisitant ici le bis post-apocalyptique avec, en guise de héros, un gamin solitaire qui survit dans ce monde dévasté qu’il dévale sur son vélo, passant le temps à récolter de vieux objets et à lire des comics de Turbo Rider, son idole. Alors qu’il fait la rencontre d’une jeune femme excentrique bien décidée à devenir son amie et d’un aventurier badass, le Kid va, avec ses nouveaux alliés, affronter le terrible Zeus, qui règne sur ces terres et qui a autrefois tué ses parents…

Tout le decorum et le folklore dystopique du genre sont donc bien là, jusqu’à la bande-son totalement et génialement eighties (le score de Le Matos et la Thunder in your heart de Stan Bush en guise d’ouverture), et les réalisateurs québécois du collectif RKSS (soit François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell, qui réalisent leur premier long-métrage après une flopée de courts-métrages d’anthologie tels que Bagman ou les trois premiers Ninja Eliminator) se payent même le second couteau culte Michael Ironside pour cabotiner avec joie dans le rôle du grand méchant. La bonne surprise, c’est que ça ne fait pas cheap ni kitsch du tout et que c’est formellement très carré et très propre (et en scope), peut-être même trop pour qu’on ait vraiment l’impression d’être devant une série B issue d’une VHS des années 80. En effet, à l’inverse d’un Hobo With a Shotgun, d’un Planète terreur ou d’un Kung Fury (nouvelle référence du genre), il n’y a pas vraiment de traitement de l’image ici ni de style particulier, ni même d’effets de montage ou de mise en scène typiques de l’époque.

La patte de RKSS, on la ressent plutôt dans cet univers fantaisiste très référentiel (mais non parodique, en dépit de clins d'oeil à Highlander, Blade Runner, Indiana Jones, Mad Max 2...) et dans les quelques grands moments de débordements gores inventifs et délirants (l’affrontement dans l’arène, la torture aux tripes, le carnage final…) renvoyant aux premiers films de Peter Jackson et surtout au court-métrage culte Bagman des mêmes réalisateurs (certaines idées de Bagman sont reprises ici, tel le coup du parapluie). Membres arrachés, geysers de sang, explosions de corps, mutilations…Mais en dépit de ces éclats surréalistes jouissifs et de ses bad guys cartoonesques (surtout le mémorable Skeletron, avec son look génial), Turbo Kid reste assez gentillet et ne révèle d’ailleurs pas un bout de sein (pourtant une part importante du cinéma bis et Z des années 80). Pas toujours drôle, l’humour est bon enfant, et Turbo Kid manque d’un peu plus de folie, de méchanceté, de furie destroy et stylistique comme dans le Hobo With a Shotgun de Jason Eisener (ce dernier étant d’ailleurs producteur de Turbo Kid, il y fait aussi une apparition), le Planète terreur de Robert Rodriguez ou le Kung Fury de David Sandberg. De plus, Turbo Kid aurait pu être un peu plus resséré, car il y a clairement des blancs et des minutes en trop.

Cependant, Turbo Kid surprend avec un trio de héros réellement attachants et bien campés par Munro Chambers (Godsend, expérience interdite), Laurence Lebœuf (Jen dans le très beau Story of Jen avec Marina Hands, une beauté atypique envoutante ici dans un rôle tragi-comique pas si évident) et Aaron Jeffery (vu dans Wolverine, ici super classe et iconique en héros à l’ancienne d’ailleurs déguisé en Indiana Jones). La relation entre le Kid et Apple est bien écrite et apporte même une émotion inattendue. C’est là ou Turbo Kid fait fort et peut décevoir en même temps ceux qui attendaient quelque chose de plus féroce : ne pas laisser ses personnages dans la caricature et dépasser le carcan de la farce parodique bis pour se poser en vrai bon film fait avec les tripes (c’est le cas de le dire) et le cœur.   

Note de Jonathan C. : 7/10
Note de Richard B. : 7.5/10

Lire la critique de David Q.

 

 

 

Auteur : Richard B.
Publié le lundi 7 septembre 2015 à 13h04

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