Un jeudi de l'angoisse à l'Etrange Festival
Vampires, érotisme nippon et tueurs à gages
Une nouvelle fois, cette journée à l'Etrange Festival aura été des plus éclectiques. Des vampires, un gentil violeur et des tueurs à gages embarqués dans une histoire abracadabrantesque, et c'est parti !
Rien de tel qu'une petite bande post-apocalyptique pour commencer la journée, et elle s'intitule Stake Land. Alors que le monde est ravagée par l’infestation des vampires, Martin, un jeune homme qui vient de voir sa famille mourir, est prit en charge par un chasseur de vampires taciturne sobrement nommé Mister. Ils se rendent dans le Nord, dans l’objectif d’atteindre le Canada, le « nouvel Eden ». Mais la route est parsemée d'embûches et de rencontres (bonnes ou mauvaises).
Road-movie survival-horrifique, Stake Land évoque fortement La Route (un jeune et sa figure paternelle sillonnent les paysages dévastés d’un monde post-apocalyptique), dont il pourrait presque être complémentaire (les deux font diptyque), mais aussi 28 jours plus tard (autre voyage de survie en milieu post-apocalyptique afin d’atteindre un nouvel Eden), avec des vampires à la place des infectés, ce qui revient quasiment au même dans le fond comme dans la forme. La voix off méditative (mais pas franchement utile) et la musique minimaliste sur des images naturalistes d’une étonnante poésie renvoient au cinéma de Terrence Malick, tandis que plusieurs idées (par exemple les villes barricadées ou la secte fanatique) semblent sorties de Walking Dead. On peut légitimement penser aussi à Phantasm II.
Bref, Stake Land n’est pas spécialement original et renvois à beaucoup d’autres œuvres, y compris à Bienvenue à Zombieland (ça ressemble parfois à un manuel de survie). Mais il parvient à trouver sa tonalité, entre idées 100% bis (l’invincible Mister qui pratique les arts martiaux contre les vampires et ressemble à Woody Harrelson dans Bienvenue à Zombieland, le bad guy néonazi tout droit sorti d’un comics, les vampires jetés par hélico dans les villes barricadées…) et envolées contemplatives (voire lyriques) le rapprochant parfois d’un Monsters. Les habituelles visites des décors abandonnés (les maisons, un vieux camion dans la forêt, un entrepôt...) ou de ce qu'il reste des villes sonnent très justes, et la menace plane continuellement, même pendant les pauses. Bien que très noir, Stake Land est tout de même moins déprimant (et aussi moins bouleversant) que La Route.
En plus d’être un captivant road-movie survival qui exploite la structure classique du genre (la combinaison route/action/rencontre/pause se répète en boucle), Stake Land est même plutôt intéressant ; le récit, d’abord très axé sur les notions du Bien et du Mal (qui doivent subsister malgré les circonstances), montre notamment ce qu’il reste de la foi dans un monde qui semble avoir été abandonné par Dieu. Le film fait preuve de beaucoup de cruauté envers ses personnages, stéréotypés mais attachants sans avoir besoin de trop parler (peu de dialogues ici). Comme à la fin de La Route ou de 28 jours plus tard, Stake Land laisse entrevoir de l’espoir, un nouveau départ et une nouvelle famille.
Fier d’une réalisation solide et inventive, le réalisateur Jim Mickle (qui a fait des petits boulots dans des productions plus ou moins connues avant de réaliser son premier film, le parait-il surprenant Mulberry Street) tire intelligemment parti d’un budget minime, exploitant largement les décors désertés de l’Amérique profonde, dont il accouche de très belles images (shootées en scope) et d’une atmosphère envoutante que le contexte redneck rend aussi sombre et inquiétante. Petit budget, mais ses vampires n’en reste pas moins superbement concoctés, les effets gores assez nombreux, et son film truffé de séquences tendues et parfois mouvementés (cf. l’attaque dans la casse et la poursuite dans le champ de maïs, ou le plan-séquence de panique lorsque les vampires tombent du ciel en pleine fête). A coté de moments minimalistes et en apesanteur, le récit se lâche parfois dans de purs élans de fureur.
Dommage que, dans le rôle du chasseur burné Mister, Nick Damici (le collègue de Mark Ruffalo dans In the cut, lieutenant dans World Trace Center et héros de Mulberry Street) manque de charisme (il est trop bedonnant et ressemble à un mexicain bouffi), malgré une certaine ressemblance avec Warren Oates. Le jeune héros (Connor Paolo, jeune Kevin Bacon dans Mystic River, fils de Nicolas Cage dans World Trade Center et jeune Colin Farrell dans Alexandre) est convaincant, pas tête-à-claque. Stake Land permet aussi de retrouver la mimi Danielle Harris (elle a bien changé, la cousine de Michael Myers) dans un rôle important, et surtout la désormais méconnaissable Kelly McGillis (ceux qui ont gardé d’elle l’image de Top Gun, Witness, Les Accusés ou Cat Chaser risquent d’être choqués et de ne pas la reconnaitre tant elle a mal vieillie), ironiquement dans le rôle d’une bonne sœur.
Malgré ses références qui lui vaudront sans doute d’être qualifié de « sous-La Route » ou de « sous-28 jours plus tard », Stake Land est plein de personnalité, de style et d’idées, confirmant que Jim Mickle est un cinéaste aussi généreux que prometteur. Critique de Nicolas L. ICI
Retour dans le passé avec Piscine sans eau, film méconnu du sulfureux Koji Wakamatsu. Après avoir sauvé une jeune femme d’un viol, un poinçonneur effacé nourrit des fantasmes de viol, qu’il commence à mettre à exécution. Armé de chloroforme, il s’introduit chez (et dans) des femmes, les déshabille, prend en photo leurs parties intimes et les viole « avec amour » pendant leur sommeil.
Etonnant film que Piscine sans eau, dans lequel le violeur, amoureux des femmes et plein d’attentions pour ses victimes (qui se réveillent heureuses, avec le petit déjeuner sur la table, le linge étendu et le ménage de fait !), passerait presque pour un Prince Charmant. Au point que sa principale victime, une serveuse qu’il croise tous les jours, hésitera à porter plainte en découvrant le coupable qui lui donnait tant de plaisir la nuit tombée. Toujours porté sur les rapports de domination (il produit d’ailleurs L’Empire des sens), Koji Wakamatsu (révélé par le fascinant et sadomasochiste Quand l’embryon part braconner et récemment revenu en forme avec le politique United Red Army) n’a pas peur de passer pour un misogyne prônant le viol (ce qu'il n'est pas), mais il aborde surtout, sans hypocrisie et avec beaucoup d’humour, la perversion distante des rapports hommes-femmes, le voyeurisme (cf. les photos) et une façon pour un type banal de s’affirmer dans la société (ou plutôt de s’en écarter) et de vaincre son impuissance et sa transparence. Autant dire que Piscine sans eau préfigure, avec cette belle métaphore, le sexe virtuel, les rencontres online et les relations par internet.
Piscine sans eau est surtout un beau film, contemplatif et hypnotique, entre une envoutante bande-son très eighties au synthétiseur et de longs silences pétrifiants (cf. la première scène de viol, quasiment sans un son). Wakamatsu filme des corps imparfaits de façon douce et onirique (ils sont tous beaux à l’écran), dans de superbes images cotonneuses. Malgré la perversité du sujet, son film déborde de sensualité érotique et de poésie charnelle, auscultant (en plans larges dans de véritables tableaux ou en travellings en très gros plan) les corps nus des femmes et les fantasmes qui en découlent. Pas une seule (ou presque) visualisation du sexe féminin (très tabou au Japon), et Wakamatsu doit faire dans l’érotisme soft et calmer le jeu par rapport à ses précédents pinku eiga, rendus obsolètes par les nouveaux roman-porno réalisés par des professionnels. C’est aussi cette contrainte qui fait de Piscine sans eau un film posé, méditatif et étonnement pudique (par rapport au sujet). A découvrir.
Terminons sur l'un des films les plus surprenants dans la riche sélection de l'Etrange Festival. Présenté par son réalisateur (cf. vidéo), Kill List fait partie de ces films, finalement assez rares, dont on ressort un peu sonné et sans trop savoir quoi en penser. Il fait aussi partie de ces films qu’il vaut mieux aller voir sans trop en savoir à son sujet, s’il est possible d’échapper au buzz (mon conseil est donc : cessez tout de suite la lecture de cet avis). Le film de Ben Wheatley (le caustique Down Terrace) commence sur des problèmes conjugaux et financiers filmés en caméra portée, puis sur un diner tendu à la Festen. Pas très rassurant et encore moins captivant de se retrouver devant un drame social à l’humour noir alors qu’on s’attendait au moins à un polar, mais Kill List a la particularité de constamment révéler l’intérêt d’une partie par la partie suivante (c’est ainsi que le dernier tiers du film donne tout son sens et sa profondeur à Kill List), de mélanger les genres, d’accumuler les ruptures de ton et de multiplier les fausses pistes. Le premier tiers, dont le postulat rappelle le passé inaperçu Route Irish de Ken Loach, révèle que les deux personnages masculins ne sont autres que d’anciens soldats devenus tueurs à gages actuellement « sans activité », et qu’ils ont enfin un nouveau contrat (là ou le dernier s’était mal passé) ; les scènes précédentes gagnent ainsi en ironie, puisqu’on y voit les petits soucis de cœur et d’argent d’un tueur à gages au chômage (« Retrouve un job ! », lui lance sa femme, qui sait évidemment qu’il est tueur à gages).
La deuxième partie, qui délaisse peu à peu la situation familiale pour le tandem viril, commence lorsque les deux amis entament leur mission : abattre les 3 noms d’une liste pour un mystérieux client. Le style brut et sensoriel (la bande-son grondante et dissonante), la caméra-témoin au plus près des acteurs, le rythme entre poussées d’adrénaline et pauses méditatives, les fulgurances de violence (les pulsions du personnage font très mal, cf. un coup de marteau qui va devenir célèbre), l’humour très noir et ironique (le tueur à gages qui a l’âme d’un justicier, les tueurs à gages qui s’offusquent des criminels ou qui se moquent de bobos bigots…), l’étau qui se ressert (le personnage pète un câble) et la narration chapitrée évoquent les Pusher de Nicolas Winding Refn (et même un peu, plus dans le fond que dans la forme, le Collateral de Michael Mann), mais là encore Kill List n’est pas le film noir qu’il prétend être. Les étranges indices (les comportements des cibles avant leur exécution, la petite rengaine musicale qui revient à plusieurs reprises…) ne pouvaient pas laisser imaginer un tel dénouement dans la dernière partie. C'est surtout là que vous devriez stopper la lecture de cet avis.
Sans crier gare, alors que les deux tueurs traquent leur dernière cible, le récit verse dans l’épouvante pure lorsqu’il intègre au récit une secte (la séquence du sacrifice laisse pantois), qui se lance à la poursuite des deux hommes. Le trouillomètre monte d’un coup (la poursuite/shoot’em up dans les souterrains est aussi stressante que saisissante), le style caméra portée est le même mais l’atmosphère change de registre (plus rien à voir avec le polar, on est ici plus proche du fantastique) tout comme le traitement de la photo (les images nocturnes et dans les tunnels sont superbes), et on se demande ce que ça vient faire là. Evoquant The Wicker Man, Le Grand Inquisiteur ou La Poursuite infernale (ou même le final du médiocre Le Dernier Exorcisme), ce dernier tiers cauchemardesque à l’imagerie gothique peut s’interpréter comme notre tueur au Purgatoire, là ou il était destiné aller dés le début du film. La progression menant au piège peut rappeler, dans un tout autre degré de violence, le controversé A Serbian Film, dans lequel (SPOILER !) le héros, puni pour ses crimes et manipulé par ses pulsions, assassinait malgré lui sa famille. (FIN SPOILERS) La conclusion est aussi brutale que stupéfiante. Cet ésotérique Kill List, qui distille sans qu’on s’en rende compte un climat d’horreur tétanisant qui éclate sur la fin, laisse en tout cas sur le carreau.
Le film est porté par des acteurs à fond dedans, dont Neil Maskell (Reviens-moi, Paintball, Doghouse et Basic Instinct 2), Michael Smiley (Outpost, Cadavres à la Pelle, Le Parfum et le Down Terrace du même Ben Wheatley) et la jolie blonde MyAnna Buring (de The Descent, Doomsday, Lesbian Vampire Killers et Twilight 4). En plus d’évoquer les vieilles légendes dans une forme minimaliste, Kill List renoue avec trois grandes traditions du cinéma anglais : le drame social à la Ken Loach, le film noir sardonique et l’horreur gothique à la Hammer. Visuellement dépouillé mais très riche à l’écoute (la musique sourde a une grande importance), Kill List laisse sur le coup dubitatif, donnant l’impression de plusieurs films dans le film. A bien y réfléchir, il est surtout parfaitement cohérent, obsédant et très fourbe, impressionnant dans sa construction d’équilibriste solide et assurée dont il résulte une sorte de « film social et horrifique de tueurs à gages ». La maitrise narrative toute en bascules casse-gueule confine même au véritable tour de force. Ce thriller horrifique novateur, insensé et pas fait pour être agréable, est l’un des films-chocs de l’Etrange Festival, et encore une surprenante réussite du film de genre anglais.
Publié le vendredi 9 septembre 2011 à 14h27
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Kill list
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Très bon film ce Stake Land , je le conseille a tous.
Dudulle63, le 9 septembre 2011 18h40